Le Chaos, cette tyrannie de l’ingérable…

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Par Camille Loty Malebranche

Du plus plausible des arguments, le chaos est l’appellation humaine des limites de l’homme non sachant et incapable d’être maître de situations qui le dépassent. Le prétendu chaos en cosmologie, n’est jamais que projection anthropomorphique d’un anthropocentrisme débouté par le non savoir, l’ignorance et l’impuissance!

Un désordre dont les causes sont clairement identifiables et maîtrisables, n’est pas du chaos. Le chaos tient précisément d’une grave ignorance partielle ou totale des causes d’un désordre constaté dans le comportement d’un système, rendu ainsi en partie ou en totalité, ingérable, parce qu’entravant toute intervention humaine manipulatrice ou correctrice. Le chaos ainsi évoqué n’est autre que le carcan de l’entendement du non sachant sans pouvoir.

Chaos et Préontologie.

À l’échelle cosmique, le pouvoir de l’homme consiste à connaître les lois naturelles afin de gérer son rapport à la nature. La Nature n’étant autre chose que l’univers immédiat (donc d’abord terrestre) et l’ensemble des lois déterminant les fonctionnements globaux et élémentaux de l’univers. Toute cosmologie – parce qu’Histoire fondamentale de la présence en général et de la place de l’Homme parmi toutes les entités présentes – commence par la mythologie. La mythologie des origines joue donc le rôle d’une « proto-ontologie » cosmologique et anthropologique. Sur le plan pur de l’Être, bien avant la Création du monde; avant et sans le fait d’être qu’est l’univers auquel on confond si souvent l’Être, le chaos n’existe pas. Ici, il faut spécifier que le chaos est le temps de Dieu et d’avant sa décision de créer. Ce n’est que par bavardage chaologique des créateurs de mythes, qu’un prétendu chaos, somme toute, imaginaire sévissant au « temps » préontologique, est décrit comme force de non-être, cette entité fictive qui ne prévaut que par l’absence de monde. Une fiction qui habita Anaxagore lorsqu’il énonça indolemement dans son illusion intellectualiste éthérée: « au commencement était le chaos, puis vint l’intelligence qui a tout ordonné »! Non, le chaos n’est pas, ce n’est en quelque sorte, que la béance mentale des limites humaines, qui, engloutissant toute loi de création et de surgissement d’univers, croit déceler du chaos quelque part. Puisque l’Être originel a toujours été et est depuis toujours, le chaos est impossible! Nous en avons la preuve par le cosmos, car le surgissement des êtres particuliers qui forment le grand Fait d’Être qu’est l’univers, requiert un immense Ordre originaire – quoique imparablement mystérieux, échappant aux délires de savoir des hommes – pour se produire. Le Créateur Ordonnateur, ayant toujours existé, le chaos est métaphysiquement une entité fictive, cosmologiquement nulle et non avenue.

Pour l’entendement humain, à l’échelle humaine du rapport à l’univers en général, à soi et aux choses, force est de constater, que le plus souvent, ce qui se désigne comme chaos, est plus qu’un simple désordre ou qu’une absence anomique d’ordre, mais une occurrence de prédominance de lois non repérées, non vraiment connues dans leur procession, intervenant ainsi en arbitraires, les rendant ingérables, imprévisibles dans leurs manifestations et conséquences.  Car seule la connaissance des lois d’un système permet sa gérance humaine en le rendant prédictible pour l’homme, sans quoi, c’est peu ou prou l’anarchie voire l’«asservissement» humain par l’ingérabilité des situations. 

Par ailleurs, il faut signaler ici, la fameuse théorie physique du chaos, où de nombreux chercheurs en mathématique et physique, tentent de contourner par des probabilités complexes, certains désordres propres à des systèmes déterministes pour mieux prédire leur comportement comme c’est le cas en météorologie telle qu’étudiée par Edward Norton Lorenz. Nous convions donc, le lecteur, en cette occurrence, à faire lui-même sa recherche sur ladite théorie.

Le Chaos Mythologique

La première désignation du chaos dans l’histoire est, comme nous l’avons signifié au début de ce texte, mythologique. Pour les fondateurs de mythes, le chaos personnifie les ténèbres du non-être originel qui empêche l’essor de la démiurgie des dieux, lesquels ne peuvent finalement créer le monde que par l’extermination ou la neutralisation du Chaos.  

Par exemple, la mythologie babylonienne attribue à la victoire de l’ordre incarné par Mardouk sur Tiamat, déesse du désordre précosmique, la paternité démiurgique du monde.

Chez Hésiode, en Grèce, à qui nous devons le nom Chaos, celui-ci est la béance d’avant les dieux qui créeront l’univers.  

Le Chaos et le vivant

L’entropie, chaos immanent à tout système énergétique, rejoint le chaos de tout système thermodynamique tel qu’étudié par Carnot qui a énoncé la deuxième loi de la thermodynamique, comme perte énergétique inéluctable et aléatoire. L’entropie affecte tout l’univers, et est aux organismes vivants, qui sont eux, des systèmes complexes de thermodynamique biologique, le pourcentage incontrôlable de désordre dû à une déperdition énergétique. Déperdition d’énergie qui sous-tend fatalement des pertes dans l’organisation systémique et les fonctions organiques, entraînant la vieillesse et toute une désorganisation progressive assignant le système biologique à l’impermanence, à l’effacement venant du désordre incontrôlable affectant, altérant l’organisation vitale… La mort, de ce point de vue, est entropique, c’est-à-dire conséquence ultime du chaos lié à la perte et la diminution de l’énergie vitale biologique.

L’on comprend que la théorie de la néguentropie (vision élaborée d’une contre entropie), qui décrit comme possiblement pérenne imperturbable, l’ordre et l’organisation du vivant, est strictement artificielle et mode théorique de résistance à ce qui efface la vie. Car par nature, la matière est ordre et demeure ordre, même si en tant qu’instance énergétique, au grand dam de ce qu’elle constitue, y compris le corps de l’homme, elle se dilue en se transformant, effaçant ses constitués. C’est le refus de l’évolution entropique des systèmes d’énergie inertes ou vivants, qui a inspiré chez certains savants, tels le physicien Erwin Schrödinger et ses successeurs; le philosophe théologien, à la fois religieux et évolutionniste, Teilhard de Chardin, une vision dite de la néguentropie. Chez Teilhard, cette néguentropie s’étant amplifiée de la thèse d’une évolution finale de l’homme parvenu à l’ultra-humain, n’aura fait que transposer à sa façon, un peu accoutrante, le message christique et chrétien de la rédemption…   

 Le Chaos politico-social

En société au regard de la politique étatique, le chaos survient quand l’État tombe sous le seuil critique d’ingérabilité de ses administrés, et donc perd l’assumation de ses prérogatives naturelles dans la nation. C’est la crise de gouvernance grave de l’État perdu dans ses attributions. 

Le chaos est l’achoppement du pouvoir, parce que muraille infranchissable à nos activités prospectives rationnelles. Tant que l’homme ne peut prévoir et anticiper par l’action, il est tributaire des aléas de l’évolution des choses et situations.

Le chaos politique et social que nous avons antérieurement abordé ailleurs, est souvent le sort infligé aux pays ciblés par les impérialistes lorsque ces pays sont difficiles à coloniser. Alors les puissances hégémoniques, leur créent artificiellement les conditions internes d’un faux chaos dont elles ont le contrôle. Car quand il faut s’ériger deus ex machina de l’implosion étatique avec des groupes internes de déstabilisation institutionnelle aux États visés, groupes destructeurs d’État, et donner ainsi l’impression que toute la source du mal, est endogène aux États en faillite, autre nom diplomatique d’une forme de chaos, les impérialistes sont maîtres du jeu.  Au niveau socio-étatique, le chaos est donc, plutôt la force de l’anarchie, le règne anomique de l’arbitraire par effondrement ou dysfonctionnement institutionnel souvent téléguidé ou à tout le moins aggravé par des profiteurs hégémoniques du dehors…

Chaotiser la politique des sud, est un art macabre où excelle l’hégémonisme d’un certain nord impérialiste, criminel inavoué contre l’humanité.   

Le Chaos mental

Au stade mental individuel, le chaos est l’effigie de la compulsion, la tyrannie du compulsif. La rage obsessive du désordre pathologique intérieur, désordre incontrôlé qui asservit, obnubile le sujet. Le chaos mental est essentiellement l’ordre du compulsif qui dépossède le sujet de lui-même.

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

Lire l’article original sur le blog Intellection https://intellection.over-blog.com/article-le-chaos-cette-tyrannie-de-l-ingerable-109100201.html

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