Haïti trépasse : dans ce poker menteur, tournons-nous vers l’Afrique

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Samedi 18 mars 2023 ((rezonodwes.com))–

Au 14 mars 2023, la situation globale d’Haïti est aussi désespérée qu’alarmante. Le tableau est sombre et funeste. Il est peint quotidiennement d’intensification de déploiement sporadique des gangs, d’assassinat et de kidnapping, d’incendie de maisons, de déplacement massif de la population, de fermeture forcée des écoles et universités, etc. À un autre niveau, on assiste à la paupérisation de la classe moyenne. L’inflation galopante chamboule tout et ronge le pouvoir d’achat des ménages. L’accès au produit pétrolier devient un luxe. Le commerce interurbain est mort. Des entreprises privées ferment leurs portes. Le taux du chômage s’accroit. La vie ordinaire des grandes villes s’agonise. Vivre ici se résume à se battre pour rester en vie, loin de la portée des armes assassines des gangs, même si les balles perdues nous attrapent jusqu’au fin fond de nos lits.

Les chantages et hypocrisies

Face à ce désespoir collectif, les protagonistes de tout horizon (Gouvernement, opposition, secteur privé des affaires et Core group) dans une perspective occidentalocentrique, se mentent à eux-mêmes en prenant le peuple haïtien pour dupe. Il faut à Haïti une force de maintien de paix. Non, c’est une force d’assistance militaire qu’il faut à la PNH. Nous n’avons besoin ni de l’un ni de l’autre. Chaque groupe du haut de leur intérêt egocentrique nous raconte des ragots. Le pouvoir et leurs alliés demandent une intervention pour conforter leur mainmise sur l’État. L’opposition joue au nationalisme afin de les défier. L’international en maitre chanteur joue sur les contradictions en place. Il acquiesce à la demande du pouvoir mais pose des exigences insurmontables du genre, il faut un consensus largement large. Or, dans aucune démocratie occidentale même dans les modèles les mieux réussis, on n’en est jamais parvenu à un tel niveau de perfection humaine.

La vérité dans tout cela

Pourtant, au-delà de ces hypocrisies, dans tous les espaces non médiatiques où l’on discute du problème de violences armées en Haïti, tout le monde se dit favorable à l’arrivée sans délai d’une force d’intervention étrangère. Les paysans du grand Nord, de l’Artibonite et du grand Sud décapitalisés par la guerre des gangs y sont favorables. Les gens des quartiers urbains de toutes les communes de la zone métropolitaine de Port-au-Prince qui vivent quotidiennement dans la fuite, la peur et l’angoisse en rêvent jour et nuit. Selon qu’un citoyen haïtien se tient dans un espace public ou privé, son discours sur la problématique de l’arrivée d’une force d’intervention militaire est altéré. D’où l’hypothèse selon laquelle les prises de position des 4 principaux protagonistes de la crise haïtienne ne sont pas sincères.

  1. La position du gouvernement

Plus d’un croit que la demande du gouvernement sollicitant l’arrivée d’une force militaire internationale au pays pour démanteler les gangs et y rétablir la paix est strictement liée à leur volonté de se maintenir au pouvoir. Elle est motivée tout simplement par les intérêts personnels de jouissance des privilèges. Ainsi elle s’inscrit dans une perspective atomique plutôt qu’holistique.

  • L’opposition

La figure emblématique de l’opposition face au pouvoir d’Ariel Henri est représentée à travers l’accord Montana. Revendiquant des solutions haïtiennes à la crise, les partisans de cet accord se disent défavorables à toute intervention militaire étrangère.  Elle opte plutôt pour une assistance technique à la PNH. Cependant, un simple appui technique en formation, matériels et équipements à la PNH, peut-il aider aujourd’hui au démantèlement des gangs qui sont devenus tout puissants ? Quoi qu’il en soit, les données disponibles sur le terrain relatives à la complexité du phénomène des gangs démontrent que la PNH n’a ni la qualité, ni les moyens pour combattre la criminalité associée aux gangs de manière diligente, efficace et durable.

  • Le secteur privé des affaires

Depuis l’application des sanctions et des menaces de sanctions par le Canada et les États- Unis contre une frange de la population, les prises de position de certains acteurs dont le secteur privé des affaires sont contraintes et influencées par l’international. Leur support à l’accord du 21 décembre en est un exemple probant. Ceci explique également leur position favorable à la demande d’une intervention militaire en Haïti.

  • Le Core group

Le Core group, pour sa part, est un groupe central composé des Ambassadeurs des pays occidentaux présents sur le territoire haïtien dont la mission vise à créer, mettre en œuvre et réviser un plan global pour Haïti. Qu’est ce qui est défini dans ce plan ? Est-ce un plan secret ? D’abord, le Core group se légitime comme étant l’expression de la communauté internationale en Haïti. Ce que la Russie, la Chine et d’autres pays non occidentaux ont délégitimé d’un revers de mains lors des dernières réunions du Conseil des Nations unies sur la crise haïtienne. Quelle est donc la position véritable de la communauté internationale vis-à-vis d’Haïti en dehors du plan du Core group ?

Le Core group n’est pas la communauté internationale

De 2004 à 2023, la situation sécuritaire du pays s’est graduellement détériorée. L’opération bagdad en 2004, point culminant de l’éclosion des gangs et des actes de kidnapping dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, a introduit au pays l’ère d’une présence permanente des missions des Nations unies. 19 ans plus tard, le bilan est lourd. L’État est en lambeau, perte du contrôle du territoire, mort du Léviathan, encerclement parfait et terrorisme total de la population par les gangs, Haïti trépasse.

Entre temps, la Russie et la Chine font échec à toutes les propositions du Core group, que ce soit celles venant du Secrétaire général de l’ONU, du Secrétaire général de l’OEA, du Département d’état, ou du Premier Ministre canadien plaidant pour l’envoi immédiat d’une force d’intervention spéciale en Haïti pour stabiliser le pays.

Ce qui se passe au sein du Conseil des Nations unies sur le dossier d’Haïti démontre sans ambages l’affirmation d’une nouvelle forme de polarisation de l’hégémonie mondiale. Le monde unipolaire n’est plus. Ainsi donc, face à ce besoin indispensable d’une force multinationale pour nous aider à renaitre, les Haïtiens doivent se tourner vers les nouvelles puissances émergentes.

Une nouvelle coopération dans une perspective non occidentale

L’essor de la révolution numérique à travers le développement de grands réseaux de communication et d’échanges commerciaux a bousculé le schéma classique du capitalisme occidental. Désormais, à la faveur des opportunités de la globalisation, de nouvelles puissances politiques et économiques émergent sur l’échiquier mondial. Le cas des géants asiatiques Chine, Inde, Arabie Saoudite, Russie, etc. Cependant, même si la Chine et la Russie ont catégoriquement mis du plomb dans l’aile du Core group au sein du Conseil des Nations unies sur le dossier d’Haïti, Il n’en demeure pas moins que ce blocage participe davantage au renforcement des capacités géostratégiques de ces deux géants non occidentaux plutôt qu’il ne nous aide à résoudre nos problèmes. Cela dit, ni l’Occident ni la Chine et la Russie ne pourront dans leur prétention impérialiste nous aider à sortir du sous-développement chronique. Dès lors, la seule vraie carte à jouer demeure le virage vers l’Afrique à travers une résolution des Nations unies supportée par tous les géants de l’Occident, de l’Europe et de l’Asie en vue de l’implémentation d’un projet haïtien par les Haïtiens.

Haïti : un défi à relever pour l’Afrique émergente

Avec la nouvelle configuration géopolitique du monde, certains auteurs croient que le 21ème siècle appartiendra aux africains et aux asiatiques. En effet, selon les projections du FMI, la Chine, le Japon, l’Inde, le Nigeria et l’Egypte sont parmi les pays les plus riches du monde. Ainsi donc, aux côtés des géants de l’Occident, ils deviennent  des forces motrices de la coopération internationale et par la même occasion sont appelés à redéfinir une nouvelle ligne de solidarité internationale où l’épistémicide, le vol, le pillage et le racisme à l’intérieur des rapports néo-coloniaux sont bannis. Dans cette perspective afrocentrique, les pays riches non occidentaux dont le Nigeria et l’Egypte doivent assumer pleinement leurs rôles de puissances émergentes continentales en volant au secours d’Haïti.

Devenue première nation nègre indépendante du monde, la jeune nation d’afrodescendant a été très vite considérée comme une menace pour l’Occident pour avoir mis debout la négritude. Après plus de deux siècles d’oppression, (paiement de dette d’indépendance, isolement sur l’échiquier international, vol des réserves d’or à la banque centrale par les américains, ingérence permanente dans la gouvernance locale, etc.) la communauté internationale doit reconnaitre l’échec de l’Occident dans l’effondrement de l’État haïtien. C’est donc à l’Afrique l’alma mater que l’ONU doit confier la charge de diriger une mission d’assistance ponctuelle et diligente visant d’une part le démantèlement des gangs et d’autre part la remise du pays sur la voie de la bonne gouvernance et du progrès économique et social.

ORIOL CHARLES

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