Haïti : un rêve affreux!

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Ce texte qui décrit la situation délétère d’Haïti depuis 1999, est jusqu’à présent d’actualité… L’ancien Ministre de la justice et de la sécurité publique a touché la plaie du doigt avec poésie et dextérité. 

HAÏTI UN RÊVE AFFREUX

par Camille Edouard Jr.

Il était tard, j’ai la mémoire qui flanche
Je n’ai souvenance ni du jour, ni de l’heure
Je me voyais, dans cette vallée
En quête d’un bruit,
Dans cette nuit sans nuages
Sans lune et sans étoiles

La nature s’était tue
J’étais seul quand des vagues poussiéreuses
Me battaient le visage
Déboussole, désappointé, désorienté, désabusé
Décontenancé…
Je sortais du noir pour aller dans le noir

Noir, dans ce noir immense…
Je broyais du noir, je voyais noir
J’avais voulu imiter les oiseaux
Chanter, roucouler
Mais hélas, plus d’oiseaux
Où sont-ils partis ?
Plus d’arbres pour les abriter
Ma vallée est devenue un désert

Aux confins de la montagne
J’ai entendu des cris
Des gémissements, des plaintes
Et des grincements de dents
J’ai couru, éperdu, perdu dans le noir
Et mon pied heurta
Le cadavre d’un enfant
Mordu par la faim…
(La misère cette vipère)

Des enfants morts,
J’en ai vu dans cette vallée
Ossements desséchés, disloqués, éparpillés
Dans l’immensité noire de cette vallée
Et derrière les montagnes…
Des enfants de tous les âges
Morts sans avoir connu la vie

Poussière !
Ils sont retournés dans la poussière
Avant même d’avoir vécu
Morts avant même d’avoir goûté à la vie
Desséchés, décolorés, recroquevillés
Dans leur misère (encore cette vipère)
La faim, fléau infernal dans cette vallée
Les a tués…
Je sortais dans le noir, pour aller dans le noir

Spectacle désolant et angoissant
Vallée de l’ombre de la mort
Regard accroché au vide désertique
Comme un torrent, des larmes muettes
Coulent tout le long de mon visage

Et je continue ma marche de poète
Dans le noir, À l’intérieur de moi-même
Aucune étoile ne scintille
La lune joue à cache-cache avec les nuages
Tout n’est que ténèbres et obscurité
Noir, tout est noir
La lumière est absente

Je continue alors ma longue marche
A travers les mornes
Où la faune est remplacée
Par de belles maisons, aux toits rougis
Là aussi, pourtant, c’était l’obscurité
Je n’ai vu scintiller aucune lumière
Car déjà, c’était la nuit

Dans la vallée, au-delà la vallée
Dans les mornes, par-delà les mornes
Désert, tout n’est qu’un désert
Où vivent des hommes, Des femmes et des enfants
Quand tout ne sera qu’un vaste désert
Que restera-t-il aux enfants, aux oiseaux ?
Éclairs et tonnerre
Voix rauque d’un pays qui s’en va
Haïti mon pays, ma patrie, mon héritage
Hier, gloire de toutes les voix Caraïbes
Aujourd’hui perles cassées
Éparpillées dans toutes les capitales du monde
Haïti, mon pays
Quel rêve affreux !

J’ai perdu la mémoire
Je n’ai plus la notion du temps
Quel jour date le calendrier ?
Quelle heure marque l’aiguille du temps ?
Regarde au cadran, et dis-moi
Quelle heure il est…
Une heure qui ne sonne pas
Eperdu, égaré, désorienté dans le noir
Du noir dans le noir…

Mais je sais, viendra un jour
Ce cauchemar finira
Nous sortirons du noir
Pour marcher dans la lumière
Retrouver notre vallée
Nos montagnes, nos collines, nos rivières

Oui, je sais, qu’un jour
Nous sortirons du cercle pourri des âges
Cycle infernal des malheurs
Et nous retrouverons, et nos arbres fruitiers
Et nos oiseaux, et leur chant
Et notre vallée, et notre espoir

Je le sais et je l’espère 
Ce jour viendra où nous sortirons
De cette vallée de désespoir
Et finira ce rêve affreux…

Automne 99

Camille Edouard Jr.

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