« Mirlande n’a fait que reproduire mots pour mots ce qu’elle a vu faire son mari 35 ans plus tôt: s’écarter de tout le monde pour assouvir ses ambitions personnelles »
Par Ducasse Alcin
Comme tous les autres couples, il se peut que dans leur foyer Leslie et Mirlande Manigat n’aient pas toujours été sur la même longueur d’onde en tout. Toutefois, rien ne nous permet de conjecturer qu’ils n’ont pas été soudés politiquement. Ils n’ont en effet exhibé aucun signe de craquelure qui laisserait suggérer qu’ils sont en désaccord.
Au contraire on les voit toujours travailler en duo, exécutant en parfaite harmonie leur partition sur la scène politique haïtienne à la paix comme à la guerre. Aussi est-on frappé de stupeur de constater que soudainement certains essayent de créer une tout autre réalité où Mirlande apparaîtrait comme l’antithèse de Leslie.
En d’autres termes c’est comme si ces gens nous disaient » Ben d’accord que Mirlande est une renégate, mais elle n’a pas fait que trahir le pays, elle s’est aussi démarquée de la ligne idéologique de son mari « . Comme si à la place de Mirlande, confronté au même postulat, Leslie aurait fait un autre choix. Qu’en est-il exactement ? Il y a-t-il vraiment lieu de parler de différence d’approche politique entre Leslie et Mirlande ?
Cette démarche prend naissance à partir du vacarme engendré par la décision de Mirlande Manigat d’intégrer le HCT. Une décision que certains sceptiques interprètent comme une parachute lancée à Ariel Henry pour sauver son régime de la dégringolade.
Ce courant de pensée ne provient nulle part d’autre que parmi la frange la plus élitiste de l’intelligentsia haïtienne au sein de laquelle se retranchent les plus fervents des flagorneurs des Manigat. Ces personnes guidées par une espèce de bovarysme croient pouvoir justifier le plus illogique des raisonnements.
Cette élite intellectuelle qui, de Duvalier à nos jours, a toujours joué un rôle de premier ordre dans la transformation des personnes ordinaires en « saints », éprouve un certain fantasme à propager le mythe selon lequel seul Manigat détiendrait la clé de voûte susceptible de résoudre les problèmes insolubles d’Haïti.
Tout comme les musiciens adoptent Sainte Cécile comme leur déité, ou encore les gens se réclamant du temple de Thémis choisissent Saint-Yves comme leur patron, de même, les gens instruits de ce pays jettent leur dévolu sur Manigat en qui ils voient ce que Prométhée représentait dans la mythologie grecque.
Vous serez étonné de constater que même ceux qui sont issus des entrailles de la masse, une fois atteints un degré d’instruction assez considérable ( il faut voir ici le syndrome du larbin) renoncent parfois à leur identité sociale pour hisser Manigat au rang d’un dieu. Une chose est d’aduler l’ancien président mal élu mais de là à essayer de le décanter de l’alliage qu’il formait avec sa femme avant sa mort est une tâche bien plus ardue.
Il est un fait indéniable que le travail de mémoire est négligé en Haïti. Il en résulte que des personnalités politiques dont les noms ne sont dignes que pour être jetés dans la poubelle de l’histoire se voient réhabilitées, recyclées politiquement. Mais les faits sont trop frais pour être relégués aux oubliettes. La chose en est que, en ce qui concerne Manigat, on n’a guère besoin d’une loupe pour démontrer que l’homme ne mérite pas le culte qu’on lui voue !
Un seul fait suffit pour démystifier le monsieur. Nous sommes en 1988. Alors que toute la classe politique se serrait les coudes pour contrer les velléités dictatoriales du CNG, animé par l’effet de Donning-Kruger, Leslie Manigat, fraîchement sorti de l’exil, décida de faire cavalier seul. Il sabota le mouvement de résistance des leaders politiques d’alors pour prendre part dans une élection bidon à l’issu de laquelle il sortit gagnant avec une écrasante majorité pour une participation de seulement 5% de la population.
A ce sujet Gérard Bisainthe, ancien condisciple de Manigat a été on ne pourrait plus lapidaire quand il dit: « Je ne sais pas si les gens ont voté par téléphone ou par la poste mais nous ne les avons pas vus dans la rue ». Le New York pour sa part dans son édition du 25 janvier 1988 décrit le professeur comme un « ambitieux » , « imprévisible » et « machiavélique ».
La mégalomanie de Manigat était telle qu’il avait tenu ces propos à Jean-Claude Bajeux pour justifier les élections illégales des militaires : « Si je prends le pouvoir, le peuple viendra à moi ». Il est clair que notre illustre professeur oublia ce principe élémentaire qui veut que deux faux pas ne fassent pas un bond vers la bonne direction. Au contraire, au mépris d’un minimum de décence politique, il fit alliance à Franck Romain, l’un des sbires les plus féroces du régime de Papa Doc.
Arrêtons-nous un peu ici. Voudrait-on nous faire croire que celui qui avait décidé d’avoir Franck Romain comme allié politique afin d’accéder au pouvoir hésiterait une seconde si on lui avait proposé d’intégrer le HCT?
Bien sûr quand on évoque ce fait, il n’est pas étonnant d’entendre les mêmes rengaines de la part des illuminés du manigatisme : « Leslie avait en tête « la percée louverturienne ». On le voit bien, même les erreurs les plus grossières du professeur sont interprétées comme un coup de génie !
Ce qu’ils entendent par-là est que si Manigat participait à ces joutes électorales c’était dans le seul et unique but de porter le coup de l’estoc aux hommes en kaki. L’objectif serait, si l’on en croit cette théorie farfelue, qu’une fois détenant le pouvoir, il se débarrasserait d’eux tel qu’on ferait pour des colis encombrants. Mais cela s’est-il réellement passé ainsi.
Il est évident qu’en dépit de ses soi-disant bonnes intentions, Leslie Manigat avait fait chou blanc. En effet, après seulement quatre mois de gestion, les militaires reprirent le contrôle de la situation en le chassant du pouvoir dans l’indifférence la plus démonstrative de la population.
Maintenant dites-nous, entre l’ivrogne Henri Namphy et l’éminent professeur, qui des deux s’est montré plus futé en politique? Le général fit clairement voir à Manigat qu’on n’arnaque pas un arnaqueur. Mais même là encore, il y en a qui essayent de dédouaner Manigat de son crétinisme pitoyable.
Bien entendu, personne ne remet en question le savoir académique de Manigat, mais la démarche consistant à nous le présenter comme le Pic de la Mirandole ne tient pas la route. Être un grand intellectuel ne fait pas de quelqu’un un politicien rompu pour autant, sinon le Sénégal serait à présent le Pays de Cocagne puisqu’il fût dirigé pendant 20 ans par Léopold Sédar Senghor, l’un des esprits les plus brillants du 20ème siècle.
Par exemple, au cours de la semaine écoulée, on pouvait lire dans un tweet les réflexions pour le moins simplistes d’un journaliste très connu. Cet homme improvisé en leader politique a dit ceci après avoir fait le panégyrique du HCT : « Madame Manigat ne peut pas finir sa carrière politique sur une fausse note ».
En clair, cet homme essaie de nous dire que la sagacité de madame Manigat est telle qu’elle serait immunisée contre l’erreur et que pour avoir arboré le nom de son mari, elle aurait toute la chance de son côté pour réussir.
Cette approche obséquieuse met en exergue la sécheresse d’idées de la soi-disant intelligentsia haïtienne. Car point besoin de jouer les Cassandre pour prédire que l’acte posé par Mirlande Manigat ne débouchera sur rien de positif qui soit susceptible d’embellir sa réputation à elle ainsi que celle de son mari. Son action finira à coup sûr par se solder par un cuisant échec.
Par ailleurs, ceux qui essayent de dissocier Mirlande de son mari ne sont tout juste que des amnésiques qui oublient bien vite que madame est un sous-produit de monsieur. Mirlande n’a fait que reproduire mots pour mots ce qu’elle a vu faire son mari 35 ans plus tôt: s’écarter de tout le monde pour assouvir ses ambitions personnelles.
Les deux sont donc indissociables ! Il ne fait aucun doute durant leur interaction elle a dû subir l’influence implacable de Leslie qui, il faut le souligner, fut aussi son père spirituel pour avoir été son prof à l’École normale supérieure. Ainsi donc tel qu’a fait madame aussi ferait monsieur dans les mêmes circonstances.
Il s’ensuit que tenter d’établir une différence entre Leslie et Mirlande est un mythe très peu sophistiqué qui, passé au crible, ne résiste pas à l’épreuve. Il échoit donc à tous le devoir historiquement impérieux de se dresser comme un faisceau pour empêcher à ces imposteurs de tordre la vérité comme bon leur semble. Comme l’a si bien dit Churchill : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre »
Ducasse Alcin