Me. Guy Latortue | Savien, un tombeau ouvert!

0
1179

Six jeunes dévoués à servir et à protéger sont fauchés par la mort dans des conditions pénibles et humiliantes. Quel outrage, hélas !  

A nos jeunes policiers sacrifiés au champ d’honneur à Savien, gloire à la patrie !

Par Guy Jacob Latortue

Depuis plusieurs années, Savien, localité cantonnée non loin de Liancourt, Commune du Département de l’Artibonite, est réputée un endroit dangereux et peu fréquenté, bref, un repaire de bandits financés et alimentés en armes et munitions par des mains criminelles. Armés jusqu’aux dents, ces bandits n’éprouvent aucun sentiment de pitié pour personne. Ils pillent, volent, violent et procèdent à l’enlèvement de personnes. A une population livrée à elle-même, ils imposent leur loi et sèment la terreur de nuit comme de jour. Quant à la police, elle est aux abois et semble dépassée par les évènements : toutes les tentatives d’intervention pour restaurer la paix publique ont piteusement échoué. La dernière, celle du mercredi vingt-trois janvier deux mille vingt-trois, s’est noyée dans un verre d’eau. Il en est résulté un bilan catastrophique dans les rangs de la PNH. Six jeunes dévoués à servir et à protéger sont fauchés par la mort dans des conditions pénibles et humiliantes. Quel outrage, hélas !                    

Plus d’une vingtaine de l’effectif de l’institution, en effet, ont connu le même sort en moins d’un mois. Tous sont abattus par des gangs armés et leurs cadavres mutilés sont exposés sur les réseaux sociaux. L’opinion publique est choquée par cette situation, pour le moins révoltante. Celle-ci provoque l’indignation et déchaîne la colère des agents de la Force Publique au niveau de certains Commissariats tant à Port-au-Prince que dans certaines villes de province. Ces policiers qui n’ont pu maîtriser leur émotion commettent certaines bavures regrettables.                       

La presse est montée au créneau contre l’Administration d’Ariel Henry et critique vertement le haut commandement de la Police Nationale. Le Premier Ministre de facto, Ariel Henry, qui n’était pas en Haïti, éprouvait de grandes difficultés à fouler le tarmac de l’Aéroport Toussaint Louverture ce jeudi vingt-six janvier écoulé. Et sans vouloir être un prophète de malheur, on pourrait s’attendre au pire si ces situations venaient à se reproduire.

Aux grands maux, dit-on, les grands remèdes. La Police doit s’atteler au travail, de ce fait, il incombe à l’Etat de fournir des équipements et matériels adéquats aux agents de la force de l’ordre pour éradiquer ces gangs armés qui sèment le deuil au sein de la famille haïtienne.

D’où proviennent ces armes qui nous affligent ?

Au moment où j’écris ces lignes, il n’existe en Haïti aucune industrie de fabrication d’armes à feu ou de munitions. L’on peut comprendre aisément qu’elles nous sont parvenues des pays producteurs.

Certaines d’entre elles nous parviennent par voie maritime à travers nos ports privés et publics sous le regard impuissant des Agents de la force publique, de nos Inspecteurs de la douane ou de la Direction Générale de l’Immigration et de l’Emigration. D’autres sont transitées de la République voisine par voie terrestre. Arrivées en Haïti, elles sont distribuées à des jeunes évoluant dans des quartiers vulnérables, marginalisés, bannis par l’Etat et stigmatisés par notre Société. Nombre d’entre-eux n’ont jamais eu la chance de fréquenter un établissement scolaire.

En réalité, les armes qui nous tuent tous les jours proviennent des pays « amis » qui n’ont plus le contrôle, peut-être, de leurs ports et aéroports. Ils se disent, pourtant, préoccupés par l’ampleur de l’insécurité qui sévit en Haïti. Quelle hypocrisie diplomatique !

Sur le couvert de l’insécurité, ces pays se disent prêts à intervenir militairement en Haïti. Quant aux armes en provenant de chez eux qui se vendent aux ennemis de la patrie, ils s’en moquent.  Pourquoi ne sont-ils pas prêts à venir en aide à la PNH dans le cadre d’une coopération internationale basée sur le respect et la dignité ?  

De l’origine de l’insécurité en Haïti ?

Remonter à l’origine de l’insécurité en Haïti pour quelqu’un qui n’est pas trop féru d’Histoire n’est pas chose facile. Je préfère laisser cette tâche ardue à quelqu’un qui s’y connait mieux. Cependant, les évènements qui se sont succédé m’ont permis de comprendre que tous les pouvoirs politiques haïtiens au cours des cinq dernières décennies ont toujours eu leurs hommes de main pour l’exécution de leurs sales besognes. Hormis certains Gouvernements provisoires ou éphémères, celui de Lesly Manigat, d’Ertha Pascal Trouillot et de Boniface Alexandre. La situation, cependant, n’a jamais été critiquée. La ville de Port-au-Prince fut une des plus belles Capitales de la Caraïbe. Des touristes venus de toutes les métropoles du monde adoraient Haïti. Des gens de toutes les catégories sociales se promenaient au Champs-de-Mars et au Bicentenaire. Des jeunes de ma génération s’y rendaient tous les soirs pour rédiger leurs devoirs et étudier leurs leçons, jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Le mot « insécurité » n’était pas dans l’imaginaire collectif des jeunes de ma génération. En effet, ce phénomène n’est pas tombé du ciel.

A un rythme incroyable et inimaginable, notre société s’est transformée en un clin d’œil ; c’est l’effritement des valeurs et l’éclosion d’une nouvelle société dépouillée de toute moralité.                            

Depuis, il n’y a plus de centres de correction de mœurs pour accueillir les enfants orphelins et déshérités qui contreviennent à la loi et aux normes établies par la société. Plus d’écoles du soir pour apprendre aux adultes quelques rudiments de lecture et d’écriture s’appuyant sur une éducation à la citoyenneté. Le glas a sonné ! Haïti est devenue une jungle. Homo homini lupus. Et la violence s’installe partout.
Des enfants en bas-âge se retrouvent dans les rues, seuls, quémandant aux passant de quoi subvenir à leurs besoins quotidiens. De cette catégorie, nos criminels au col blanc recrutent une clientèle abondante et à bon marché pour l’exécution de leurs actes politiques ou économiques occultes.

Qui est responsable de cette situation ?

L’Etat en est responsable pour avoir failli à sa mission de créer les conditions propices à réduire les inégalités sociales qui fragilisent le pays depuis trop longtemps. La situation à laquelle est confrontée la société est vraiment pénible. Personne n’est épargnée. Une solution prompte et urgente s’avère nécessaire. Cependant, même quand on aurait exterminé tous ces gangs qui terrorisent notre population aujourd’hui, l’on doit s’attendre à d’autres qui vont réapparaitre dans un temps pas trop lointain. Si nos dirigeants ne jettent pas leurs masques de monstre qu’ils incarnent pour se donner un visage humain, Savien demeurera toujours un tombeau ouvert qui nous fera pleurer chaque jour la disparition de nos frères et sœurs.

A nos jeunes policiers sacrifiés au champ d’honneur à Savien, gloire à la patrie !

Que leurs âmes disparues scintillent à jamais dans notre ciel !

Guy Jacob Latortue, av.
Ancien député de la circonscription des Gonaives

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.