BINUH | Janvier 2023 : Rapport complet sur Haïti de Helen La Lime, représentante du SG de l’ONU

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Rapport

I.    Introduction

1.      Le  présent  rapport  est  soumis  en  application  de  la  résolution  2645  (2022)  du Conseil de sécurité, par laquelle celui-ci a décidé de proroger jusqu’au 15 juillet 2023 le  mandat  du  Bureau  intégré  des  Nations  Unies  en  Haïti  (BINUH)  défini  dans  la résolution 2476 (2019) portant création du BINUH et d’ajuster le délai de présentation de rapports, le faisant passer de 120 à 90 jours. Il retrace les principaux faits nouveaux survenus depuis mon précédent rapport (S/2022/761) et fait le point sur l’exécution du mandat du Bureau.

II.    Politique et bonne gouvernance

2.      Au cours du dernier trimestre, le climat politique du pays a été influencé par les trois  initiatives  ci-après :  l’adoption  de  la  résolution  2653  (2022)  du  Conseil  de sécurité, par laquelle le Conseil a établi un régime de sanctions en  vue d’imposer des mesures (interdiction de voyager, gel des avoirs et embargo sur les armes ciblé) aux personnes  qui  entretiennent,  directement  ou  indirectement,  des  relations  avec  des groupes  armés  et  des  réseaux  criminels ;  l’imposition  par  deux  États  Membres  de sanctions bilatérales à l’encontre de plusieurs personnalités haïtiennes ; la demande faite   par   le   Gouvernement   haïtien   de   déployer   une   force   armée   spécialisée internationale  pour  aider  la  Police  nationale  d’Haïti  à  lutter  contre  l’insécurité  liée aux actes criminels des bandes armées, demande à laquelle j’ai répondu en proposant le déploiement d’une force d’action rapide.

3.      La violence liée aux bandes organisées a atteint des niveaux inégalés depuis des décennies et reste la principale menace pour la sécurité publique en Haïti. Ces bandes armées   ont   cherché   à   étendre   leur   influence   dans   des   quartiers   de   la   zone métropolitaine de Port-au-Prince qui étaient, jusqu’à récemment, considérés comme relativement sûrs. À Port-au-Prince, les rivalités entre bandes ont déplacé des dizaines de milliers de personnes, dont la plupart se sont réfugiées dans des camps improvisés qui, devenus eux-mêmes le théâtre d’infractions violentes, ont mis encore plus à mal les capacités d’une police nationale déjà débordée.

4.      Ma  représentante  spéciale  pour  Haïti  a  continué  d’encourager  les  principales parties prenantes et les blocs politiques à dialoguer pour parvenir à un accord qui soit piloté par les Haïtiens. Les pourparlers directs qui ont été menés début octobre entre le  Premier  Ministre Ariel  Henry  et  un  membre  éminent  de  la  Commission  pour  la recherche d’une solution haïtienne à la crise ( « groupe de Montana ») n’ont pas donné de  résultats  tangibles.  Plus  tard  le  même  mois,  des  groupes  de  la  société  civile  ont entamé   des   consultations   avec   des   groupes   politiques,   des   entreprises,   des associations  professionnelles  et  des  syndicats,  qui  ont  abouti  à  l’élaboration  du Consensus  national  pour  une  transition  inclusive  et  des  élections  transparentes,  un accord qui dresse la liste des mesures nécessaires à la tenue d’élections, à savoir, entre autres : la mise en place d’un haut conseil multipartite de transition ; la création d’un organe de contrôle de l’action gouvernementale ; la restauration complète de la Cour de  cassation ; la formation  d’un  nouveau  conseil  électoral provisoire ;  l’élaboration de réformes constitutionnelles, en vue de rétablir des institutions démocratiquement élues dans un délai de 18 mois. Une série de réunions et de négociations informelles se  sont  tenues  en  octobre  et  en  novembre  à  Port-au-Prince  et  dans  le  reste  du  pays pour renforcer le soutien à cet accord.

5.      Le   6   décembre,   les   groupes   de   la   société   civile   qui   avaient   dirigé   ces consultations ont publié leur première déclaration en tant qu’« Équipe indépendante de facilitation », dans laquelle ils soulignaient la nature inclusive des négociations et les   efforts   qu’il   déployaient   pour   consolider   dans   un   document   unique   les propositions   formulées   par   les   parties   prenantes.   L’Équipe   indépendante   de facilitation  a  également  demandé  à  tous  les  groupes  politiques,  associations  de  la société  civile  et  entreprises  du  secteur  privé  de  surmonter  leurs  différences  pour  se mettre d’accord, d’ici à la fin de 2022, sur le document relatif au Consensus national, et  de  collaborer  avec  le  Gouvernement  pour  mettre  le  pays  sur  la  voie  de  la restauration de l’ordre démocratique. Le 8 décembre, des chefs d’entreprise ont publié une déclaration dans laquelle ils exhortaient à leur tour toutes les parties prenantes à travailler main dans la main pour remettre le pays sur la voie de la ten ue d’élections.

6.      Le 21 décembre, le Consensus national a été signé par le Premier Ministre et un large éventail de parties prenantes, dont certains signataires de l’Accord de Montana, divers groupes non alignés, la société civile, des groupes religieux, le secteur privé et un  grand  groupement  politique  se  faisant  appeler  « le  compromis  historique ».  Le Premier   Ministre  a  annoncé  le  lancement,   au   mois  de  janvier,  d’une   série  de discussions   multipartites   visant   à   permettre   aux   signataires   et   non-signataires d’élaborer une feuille de route plus détaillée concernant la transition. La direction du groupe  de  Montana  a,  quant  à  elle,  rejeté  le  Consensus  national,  le  qualifiant  de

« manœuvre » électorale lors d’une conférence de presse tenue le 29 décembre.

7.      La demande faite par le Gouvernement de déployer d’urgence une force armée spécialisée internationale pour aider la Police nationale à lutter contre l’insécurité liée aux actes criminels des bandes armées, et ma lettre datée du 8 octobre (S/2022/747) au sujet des options qui pourraient être envisagées pour renforcer l’appui à la sécurité en Haïti, rédigée en application de la résolution  2645 (2022) du Conseil de sécurité, ont reçu un accueil mitigé dans le pays.

8.      D’une part, la direction du groupe de Montana (connue sous le nom de Bureau de  suivi  de  l’Accord)  ainsi  que  plusieurs  groupes  d’opposition  ont  publié  des déclarations   dans   lesquelles   ils   critiquaient   la   demande   du   Gouvernement   et s’opposaient à ce qu’ils qualifiaient d’intervention étrangère, citant, dans certains cas, les leçons tirées du passé en matière de soutien opérationnel à  la sécurité, y compris dans  le  domaine  du  maintien  de  la  paix.  Le  9  octobre,  les  10  sénateurs  toujours  en fonctions (dont le mandat a pris fin le 9 janvier 2023) ont adopté une résolution dans laquelle ils demandaient au Premier Ministre d’annuler la décision prise le 7 octobre par  le  Conseil  des  ministres,  qui  avait  déclenché  la  demande.  D’autre  part,  une coalition de la société civile, connue sous le nom de Groupe de travail sur la sécurité, a  publié  le  20  octobre  une  déclaration  dans  laquelle  elle  demandait  que  le  soutien

opérationnel international à la Police nationale soit clairement encadré. Le 24 octobre, des   chefs   d’entreprise   ont   publié   une   déclaration   similaire,   dans   laquelle   ils affirmaient que seule la présence de forces armées internationales permettrait d’éviter une   catastrophe   sur   les   plans   humanitaire   et   de   la   sécurité.   Le   14   décembre, l’ensemble  des  évêques  catholiques  d’Haïti  ont  signé  un  document  dans  lequel  ils demandaient que la communauté internationale apporte un appui immédiat à la Police nationale,   notamment   en   matière   d’équipements,   de   formation   et   de   réforme administrative, afin de créer les conditions propices à la relance de l’économie et de remettre le pays sur la voie de la tenue d’élections.

Sanctions des Nations Unies et sanctions bilatérales

9.      Dans  ce  contexte,  l’adoption  à  l’unanimité,  le  21  octobre,  de  la  résolution 2653 (2022)  du  Conseil  de  sécurité,  par  laquelle  le  Conseil  a  établi  des  mesures  de sanctions précises à l’encontre des entités et personnes inscrites sur la liste pour avoir pris part à des activités criminelles et à des actes de violence impliquant des groupes armés et des réseaux  criminels, ou  pour les avoir soutenus, a fait les gros titres des médias du pays. Pour que le public fasse la distinction entre la portée du régime de sanctions  établi  par  le  Conseil  de  sécurité  et  le  mandat  du  BINUH,  le  Bureau  s’est employé à faire mieux connaître la résolution, notamment en organisant des séances d’information avec les médias nationaux.

10.    En novembre et en décembre, deux États Membres ont annoncé la mise en place de  sanctions  bilatérales  visant  plusieurs  personnalités  politiques  haïtiennes.  Parmi elles figuraient  un  ancien  président,  deux  anciens  premiers  ministres, pas  moins  de trois   anciens   parlementaires,   deux   sénateurs   (en   fonctions   au   moment   de   leur désignation), deux ministres d’État ayant démissionné pendant la période considérée et   un   ancien   directeur   général   des   douanes.   Ces   sanctions   comprenaient   des interdictions de voyager et des gels d’avoirs pour participation présumée au trafic de stupéfiants ou collusion avec des bandes armées et des réseaux criminels, y compris par la facilitation ou la protection de leurs activités illégales au moyen du blanchiment d’argent  ou  d’autres  actes  de  corruption.  Le  5  décembre,  l’un  de  ces  deux  États Membres a annoncé de nouvelles sanctions et gelé  les avoirs que détenaient sur son territoire  trois  chefs  d’entreprise  haïtiens  de  premier  plan,  au  motif  qu’ils  avaient utilisé leur notoriété pour protéger et faciliter les activités illégales de bandes armées criminelles  en  se  livrant  notamment  au  blanchiment  d’argent  et  à  d’autres  actes  de corruption.

11.    Dans l’ensemble, le public haïtien a bien accueilli ces annonces, et de nombreux appels  ont  été  lancés  sur  les  médias  sociaux  pour  que  d’autres  personnes  soient sanctionnées.  Dans  le  cadre  du  dialogue  piloté  par  les  parties  prenantes  haïtiennes, plusieurs organisations politiques ont suspendu leur coopération  avec les personnes sanctionnées et les groupes politiques auxquels elles étaient associées, notamment le Parti haïtien Tèt Kale, auquel appartenait le Président défunt Jovenel Moïse.

Conseil électoral

12.    Alors que le calendrier électoral reste incertain, le BINUH et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) continuent d’appuyer le renforcement des capacités des conseils  électoraux. Ils ont par ailleurs organisé, dans le cadre du projet  du  Fonds  pour  la  consolidation  de  la  paix,  une  série  de  réunions  sur  la prévention de la violence électorale, auxquelles ont participé des représentants de la société civile, du  secteur privé, de groupes religieux, des médias et d’autres parties prenantes.  Les  trois  premières  réunions  ont  eu  lieu  entre  le  25  novembre  et  le 2 décembre  au  Cap-Haïtien  (département  du  Nord),  à  Fort-Liberté  (département  du Nord-Est) et à Port-de-Paix (département du Nord-Ouest). Les autres réunions se sont tenues  entre  les  5  et  13  décembre  aux  Cayes,  à  Jérémie  et  à  Miragoâne,  dans  la péninsule  méridionale.  Le  personnel  du  Conseil  électoral  a  également  organisé,  le 15 décembre, une manifestation à l’occasion de laquelle des praticiens des élections, des journalistes et des représentants de la société civile ont réfléchi à la mise en place de stratégies de lutte contre la désinformation, les discours haineux et les stéréotypes fondés sur le genre sur les médias traditionnels et les médias sociaux.

III.    Réduction de la violence

13.    Ces derniers mois ont été marqués par une augmentation constante des crimes graves et des problèmes liés aux bandes organisées. En 2022, le nombre d’homicides signalés a augmenté de 35,2 %  par rapport à l’année dernière, 2 183  victimes (dont 163  femmes  et  22  filles)  ayant  été  recensées,  contre  1 615  (dont  93  femmes  et 19 filles)  en  2021.  La  proportion  des  homicides  enregistrés  dans  le  département  de l’Ouest, où la criminalité liée aux bandes est la plus répandue, était de 81,6  %. Parmi les victimes figurait un ancien candidat à la présidence, Éric Jean Baptiste, assassiné le  28  octobre,  ainsi  que  le  Directeur  de  l’Académie  nationale  de  police,  Harington Rigaud, tué le 25 novembre. Les enlèvements ont également continué d’augmenter, pour afficher une hausse de 104,7 %. Selon la police, ceux-ci ont fait 1 359 victimes (dont 294 femmes et 23 filles) en 2022, contre 664 en 2021. Les troubles civils n ’ont fait qu’aggraver la situation. En 2022, l’Organisation des Nations Unies a recensé au moins 1 490 manifestations, barrages routiers et barricades, soit une augmentation de 35,5 % par rapport à l’année précédente.

14.    Le   Conseil   supérieur   de   la   Police   nationale   a   tenu   plusieurs   réunions extraordinaires  au  cours de la période considérée, en  vue de définir des mesures de lutte  contre  le   crime   et  la  violence  des  bandes   organisées.   Dans   ce   cadre,   le Gouvernement a commandé un premier lot de six nouveaux véhicules blindés, dont la  Police nationale  a fait  l’acquisition  le  15  octobre.  Une  autre  procédure  d’achat  a été lancée pour acquérir des  équipements de protection  du  personnel  et  du  matériel tactique.

15.    Désormais  équipée  de  nouveaux  véhicules  blindés  et  formée  à  l’intervention tactique par des experts internationaux, la Police nationale a intensifié les patrouilles dans tout le pays et mené des opérations antigang, ce qui a donné des résultats mitigés mais parfois notables, par exemple l’arrestation de plusieurs dizaines de membres de bandes. Cependant, malgré la détermination dont elle a fait preuve pour endiguer la criminalité  et  lutter  contre  les  bandes,  la  police,  débordée  et  en  manque  cruel  de personnel et de ressources, n’a pas été en mesure, à elle seule, d’empêcher la montée alarmante  de  la  violence  des  bandes  organisées.  Le  BINUH  continue  d’aider  ses interlocuteurs nationaux à relever les défis institutionnels, politiques et procéduraux auxquels font face les services de maintien de l’ordre, notamment en leur fournissant des conseils de gestion pour améliorer la planification des opérations, en coordination avec des unités spécialisées dans les opérations antigang.

Blocage du terminal de Varreux et crise du carburant

16.    Le  blocage  de  Varreux,  le  plus  grand  terminal  pétrolier  d’Haïti,  qui  avait commencé le 18 septembre alors que le pays était secoué par des troubles civils et des manifestations, a continué de perturber presque tous les aspects de la vie quotidienne, et  ce  jusqu’au  mois  de  novembre.  L’interruption  des  transports  publics  qui  en  a découlé  a  contraint  les  écoles,  les  marchés,  les  banques  et  les  entreprises  de  rester fermés,  ce  qui  a  entraîné  la  réduction,  voire  la  suspension  des  services  dans  les hôpitaux  et  les  centres  de  santé,  et  empêché l’acheminement  de  l’aide humanitaire. La violence s’est intensifiée, notamment les meurtres, les enlèvements, les incendies criminels,  le  vandalisme  et  les  pillages.  Des  manifestants  ont  attaqué  et  pillé  des entrepôts   utilisés   par   l’équipe  de  pays  des  Nations   Unies,  dont  l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, le  PNUD,  le  Bureau  des  Nations  Unies  pour  les  services  d’appui  aux  projets  et  le Programme alimentaire mondial, ainsi que des entrepôts et des installations gérés par des organisations non gouvernementales. Or, une grande partie de la nourriture et des fournitures perdues faisaient partie des stocks  d’intervention d’urgence destinés aux personnes les plus vulnérables.

17.    Soumise  à  une  pression  croissante  pour  mettre  fin  au  blocage  de  Varreux  et éliminer les barricades et les tranchées mises en place par les bandes organisées pour empêcher  les  camions  de  carburant  d’accéder  au  terminal,  la  Police  nationale  a plusieurs fois échoué, durant le mois d’octobre, à reprendre le contrôle. Les unités de police  spécialisées  sont  finalement  parvenues  à  accéder  au  terminal  pétrolier  le  3 novembre  grâce  à  leurs  nouveaux  véhicules  blindés  tactiques,  après  deux  jours  de combats intenses. Le 5 novembre, le Ministère des travaux publics, des transports et des communications et les Forces armées d’Haïti avaient rétabli l’accès au terminal. Les stations-service ont été progressivement réapprovisionnées dans les jours qui ont suivis et la vente de carburant au public a pu reprendre le 12 novembre dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

18.    Bien  que  le  terminal  de  Varreux  soit  désormais  partiellement  opérationnel, l’Autorité   portuaire   nationale   et   d’autres   ports   commerciaux   continuent   d’être constamment attaqués par des bandes. Le transport routier reste risqué, les conteneurs d’expédition et les marchandises étant régulièrement détournés et pillés. La  police a continué d’avoir du mal à maintenir des patrouilles à proximité des ports, tandis que les bandes ont gardé le contrôle de la plupart des principales voies de transport reliant Port-au-Prince aux départements du nord et du sud du pays.

Programmes de lutte contre la violence de proximité

19.    Le fait que les bandes utilisent de manière croissante des enfants et des jeunes femmes pour étendre leur influence montre que pour briser le cycle de la violence, il faut traiter certaines vulnérabilités de manière holistique. Dans ce contexte, le BINUH continue  de  fournir   une  assistance  au   groupe  de  travail  interministériel  sur  le désarmement,  le  démantèlement,  la  réinsertion  et  la  réduction  de  la  violence  de proximité. Cependant, la mise en œuvre de la stratégie nationale de désarmement, de démantèlement, de réinsertion et de réduction de la violence de proximité adoptée en

2021  ne  pourra  progresser  qu’avec  l’apport  d’un  appui  supplémentaire.  Après  la suspension de ses activités, survenue au plus fort de la crise du carburant, le groupe de travail a été réactivé le 17 décembre avec l’appui du BINUH.

20.    Malgré   les   problèmes   de   sécurité   et   d’accès,   les   initiatives   de   dialogue intercommunautaire  se  sont  poursuivies  dans  deux  quartiers  vulnérables  de  la  zone métropolitaine de Port-au-Prince (Martissant et La Saline). Elles ont été appuyées par l’équipe de pays des Nations Unies et des partenaires locaux. Six sessions de dialogue intercommunautaire   ont   ainsi   été   organisées,   qui   se   sont   accompagnées   d’un renforcement  des  organisations  sociales  et  locales.  Les  bénéficiaires  ont  reçu  une formation  professionnelle  et  un  soutien  psychosocial,  et  un  appui  technique  et financier a continué d’être offert à des microentreprises dirigées par des femmes.

21.    La communauté internationale reste déterminée à aider les autorités nationales à lutter contre la prolifération des armes et des munitions illicites dans le pays. Une évaluation de base, achevée au cours de la période considérée par le Centre régional des  Nations  Unies  pour  la  paix,  le  désarmement  et  le  développement  en Amérique latine   et   dans   les   Caraïbes,   met   en   évidence   le   travail   politique,   juridique   et opérationnel qui reste à faire dans le pays pour combattre efficacement cette menace

de prolifération. Les partenaires sont prêts à aider les autorités nationales à mettre en œuvre le Caribbean Firearms Road Map (plan d’action pour l’exécution durable des mesures  prioritaires  contre  la  prolifération  illicite  des  armes  à  feu  et  des  munitions dans les Caraïbes à l’horizon 2030), qui, achevé en août 2022, doit être signé par le Premier Ministre.

Armes illicites et programmes de financement

22.    L’Office des Nations Unies contre la drogue  et le crime (ONUDC) a continué d’aider les autorités haïtiennes à combattre les trafics illicites en mettant en œuvre le Programme  de  gestion  des  frontières,  qui  comprend  notamment  le  Programme  de contrôle des conteneurs, le Projet de communication aéroportuaire et le Programme mondial   de   lutte   contre   la   criminalité   maritime.   Pour   ce   faire,   il   a   reçu   du Gouvernement  haïtien  un  million  de  dollars  de  fonds  de  démarrage.  Des  fonds supplémentaires  sont  nécessaires  à  la  formation  des  unités  spécialisées  dans  le contrôle  des  conteneurs  et  l’analyse  des  profils  à  tous  les  points  d’entrée.  Un

financement bilatéral supplémentaire sera mis à disposition dans le cadre du projet de panier de financement. Les bandes ayant la mainmise sur les zones portuaires et les voies d’accès, la mise en œuvre de ces programmes a pris du retard.

23.    En dépit de ces difficultés, l’ONUDC a réalisé des progrès au cours de la période considérée, notamment en  apportant un  soutien  juridique à la rédaction  du nouveau code  des  douanes.  En  outre,  des  études  sont  actuellement  élaborées  pour  aider  les principales  parties  prenantes  à  mieux  comprendre  la  réalité  et  l’ampleur  du  trafic d’armes   à   feu   et   de   drogues   en   Haïti.   L’ONUDC   et   l’Organisation   des   États américains  ont  mis  sur  pied  une  proposition  visant  à  donner  plus  de  moyens  aux autorités  haïtiennes  pour  qu’elles  soient  à  même  d’enquêter  sur  les  affaires  de corruption,   de   criminalité   économique   et   de   blanchiment   d’argent   et   sur   les infractions  connexes  et  qu’elles  puissent  poursuivre  et  juger  leurs  auteurs,  et  à améliorer   l’échange   d’informations   avec   les   enquêteurs   internationaux   sur   la criminalité transnationale organisée.

IV.    Sécurité et état de droit

24.    La Police nationale d’Haïti a continué de s’acquitter de sa mission en se dotant de davantage de moyens, en améliorant la déontologie et la discipline dans ses rangs et en relevant le moral de ses fonctionnaires. Ces efforts n’ont pourtant pas empêché ses effectifs de continuer à diminuer et d’afficher des taux élevés d’attrition dus aux décès,  aux  licenciements  et  aux  démissions.  Au  31  décembre  2022,  elle  comptait

14 861  agents,  dont  1 740  femmes  (soit  11,7 %).  Les  taux  élevés  de  désertion,  les suspensions   temporaires   dans   l’attente   d’enquêtes   administratives   et   les   autres absences se traduisent par un effectif opérationnel approchant les 13  500 personnes, dont environ 9 700 sont disponibles pour le service actif. Par ailleurs, selon certaines informations, un grand nombre de policiers seraient associés à des bandes sévissant dans la capitale.

25.    Le manque de personnel été en partie compensé par la remise des  diplômes, le

23  décembre,  aux  élèves  de  la  trente-deuxième  promotion  de  l’Académie  nationale de police (soit 714 nouveaux agents de police, dont 174 femmes). Si l’on compte les nouveaux  agents,  le  ratio  police/population  a  légèrement  augmenté  pour  atteindre

1,2 agents  pour  1 000  habitants,  mais  reste  inférieur  à  la  norme  recommandée  par l’ONU de 2,2 agents pour 1 000 habitants. Parallèlement, le recrutement de la trente- troisième  promotion  de  cadets  est  en  cours  à  l’échelle  nationale,  celui-ci  comptant 2 732  candidats, dont 644 femmes. Afin  que davantage de femmes soient recrutées, des  sessions  de  renforcement  des  capacités  ont  été  organisées  en  2022  pour  une cinquantaine  de  candidates  dans  le  département  du  Sud,  dans  le  cadre  d’un  projet d’intégration  des  questions  de  genre  appuyé  par  un   donateur  international.  Le 23 décembre,  94  officiers  de  police,  dont  5  femmes,  ont  été  promus  au  rang  de commissaire de police après avoir suivi avec succès une formation de sept mois. La cérémonie de remise des diplômes de la deuxième classe des Forces armées d’Haïti, composée de 409 membres, dont 92 femmes, s’est tenue le 22 décembre.

26.    Les  opérations  menées  quotidiennement  pour  contrer  le  phénomène  toujours prégnant  des  bandes  armées  a  continué  d’épuiser  les  ressources  de  la  police  et d’entraver la prestation d’autres services courants essentiels. Afin de tenir compte des pressions opérationnelles croissantes et de la hausse des coûts, le budget de la Police nationale a été augmenté de 45 % par rapport à l’exercice 2021/22.

27.    Au cours des trois dernières années, de nombreuses installations de police ont été endommagées ou détruites par des catastrophes naturelles ou des actes criminels perpétrés  par  des  bandes.  Rien  qu’en  2021  et  2022,  plus  d’une  centaine  d’attaques délibérées ont visé des infrastructures de police, causant des dommages tels que des dizaines de postes de police qui ont dû être reconstruits d’urgence. La situation étant la même pour les équipements et les véhicules de police, une bonne partie de l a flotte de patrouille était hors d’usage en raison du manque d’entretien et de la pénurie des pièces de rechange. Malgré les efforts récemment déployés par le Gouvernement pour remédier   aux   graves   pénuries   d’équipement,   des   fonds   supplémentaires   sont nécessaires pour compléter le budget de la Police nationale, à défaut de quoi il ne sera probablement  pas  possible  d’améliorer  véritablement  la  situation  en  matière  de sécurité publique.

Panier de financement visant à appuyer la professionnalisation de la Police nationale d’Haïti

28.    La  mobilisation  autour  de  la  situation  de  sécurité  en  Haïti  continue  de  croître grâce l’action concertée menée par la communauté internationale au cours du dern ier trimestre  de  2022   pour   appuyer   la  professionnalisation   de  la  Police  nationale. Appuyées  par  le  BINUH,  les  activités  de  plaidoyer  en  faveur  d’un  programme conjoint  d’appui  à  la  Police  nationale  d’Haïti  géré  par  le  PNUD  (« panier  de financement »)  ont  jusqu’à  présent  permis  d’obtenir  des  promesses  de  dons  d’un montant de 17,75 millions de dollars, sur les 28 millions demandés. Après la mise en route  de  certaines  activités  clés,  notamment  l’évaluation  de  la  diligence  voulue  en matière de droits humains et la rédaction d’un mandat, le groupe de travail technique, composé  de  membres  de  la  Police  nationale,  d’entités  des  Nations  Unies  et  de partenaires  financiers,  a  tenu  sa  première  réunion  le  30  novembre,  à  l’occasion  de laquelle il a validé le plan d’action relatif à la mise en œuvre du programme.

29.    Fin  2022,  des  ressources  financières  ont  été  allouées  aux  fins  de  l’exécution d’un  total  de  15  activités  sélectionnées  par  la  direction  de  la  Police  nationale  en coordination  avec  le  PNUD  et  le  BINUH.  L’un  des  principaux  projets  en  cours consiste à mettre en place un système de contrôle des antécédents des agents de police permettant  au  Service  de  recrutement  permanent  et  à  l’Inspection  générale  de  la Police nationale de mieux vérifier les antécédents des recrues et d’assurer un contrôle continu des agents de police en service tout au long de leur carrière. D’autres activités sont menées dans les domaines du renseignement policier, de la gestion des actifs et des  infrastructures  de  police,  ou  concernent  l’achat  d’équipements,  notamment  de véhicules, de motos, de radios portatives, de drones et de mobilier de bureau.

Affaires judiciaires et pénitentiaires

30.    Le 11 novembre, le Conseil des ministres a nommé le juge Jean-Joseph Lebrun au poste de Président de la Cour de cassation, mettant ainsi fin à la vacance prolongée

qui avait suivi le décès du précédent Président de la Cour en juin 2021. Si certaines organisations  de  la  société  civile  ont  mis  en  doute  la  constitutionnalité  de  cette nomination, la plupart des acteurs du secteur judiciaire ont salué les qualifications de M.  Lebrun  et  se  sont  félicités  de  cette  nomination,  celle-ci  constituant  une  étape essentielle vers le retour à une Cour de cassation opérationnelle. En prêtant serment le   22   novembre   pour   la   présidence   de   la   Cour   de   cassation,   M.   Lebrun   est automatiquement devenu Président du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et été investi des pouvoirs financiers correspondants, ce qui a permis au Conseil d’atteindre le quorum requis et d’allouer les crédits nécessaires aux activités courantes.

31.    Toutefois, la violence liée aux bandes organisées a continué de compromettre le fonctionnement du système judiciaire, notamment les efforts déployés pour réduire le taux  élevé  de  détention  provisoire  prolongée.  À  la  fin  de  l’année,  les  autorités  de l’État  n’avaient  toujours  pas  repris  le  contrôle  des  locaux  du  Tribunal  de  première instance de Port-au-Prince, qui avaient été dévalisés et occupés par des membres de bandes à la mi-juin 2022. Le Tribunal de première instance de la Croix-des-Bouquets (département de l’Ouest), qui avait été attaqué et incendié fin juillet par des membres de    bandes,    est    toujours    temporairement    hébergé    dans    plusieurs    bâtiments gouvernementaux à Tabarre (département de l’Ouest).

32.    Lors de sa prise de fonction en tant que nouvelle Ministre de la justice et de la sécurité  publique  par  intérim,  Emmelie  Prophète-Milcé  (également  Ministre  de  la culture  et  de  la  communication)  a  annoncé  qu’elle  s’attaquerait  en  priorité  à  la surpopulation  carcérale  et  au  taux  excessif  de  détention  provisoire  prolongée.  Le

28 novembre, elle a rencontré les chefs des poursuites des 18 juridictions d’Haïti pour leur  demander  instamment  de  mesurer  soigneusement  la  portée  du  recours  à  la détention pour les délits mineurs et d’accélérer les affaires en cours. À cet égard, le 1er  décembre,  elle  a  envoyé  une  circulaire  à  tous  les  procureurs,  les  enjoignant d’émettre  au  moins  10  actes  d’accusation  par  mois  parmi  les  cas  de  détention provisoire en suspens et annonçant des mesures administratives à l’encontre de ceux qui ne respecteraient pas cet objectif. Elle les y chargeait également d’assurer le suivi de la sécurité et de la santé dans les prisons.

33.    Au 31 décembre, les prisons haïtiennes comptaient au total 11 161 détenus, dont 285  femmes,  266  garçons  et  8  filles,  leur  taux  d’occupation  global  était  estimé  à 278,8 %,  et  9 278  détenus  étaient  en  attente  de  jugement.  Au  cours  de  la  période considérée,   les   autorités   judiciaires   se   sont   montrées   animées   d’un   sentiment d’urgence  renouvelé  pour  régler  le  problème  déjà  ancien  de  la  détention  provisoire prolongée. Après avoir examiné les cas de détenus qui, placés en détention provisoire, pouvaient  prétendre  à  une  libération,  le  comité  spécial  lancé  le  14  octobre  avec l’appui  technique  du  BINUH  a  approuvé  la  libération  de  350  détenus.  Grâce  aux activités du comité, qui se compose de juges de haut rang, de l’Office du Protecteur du citoyen et de la citoyenne, du Procureur général de la juridiction de Port-au-Prince, du  Ministère  de  la  justice  et  de  la  sécurité  publique,  des  autorités  policières  et pénitentiaires  et  du  Conseil  national  d’assistance  légale,  deux  recours  d’habeas corpusont pu être lancés au Tribunal de première instance de Port-au-Prince, au nom de  93 personnes  en  détention  provisoire.  Ces  auditions  ont abouti  à la libération  de 81 détenus entre le 3 novembre et le 28 décembre dans cette seule juridiction. Le taux de détenus placés en détention provisoire n’en est pas moins resté très élevé (83,1 %).

34.    L’interruption  des  approvisionnements  due  au  blocus  des  voies  d’accès  au terminal pétrolier de Varreux par des bandes ayant accentué les pénuries chroniques de nourriture, de médicaments, d’eau et de gaz de cuisine, les conditions de vie des détenus dans les prisons haïtiennes, déjà précaires, se sont dégradées. En coordination avec  l’équipe  de  pays  des  Nations  Unies  et  d’autres  partenaires  internationaux  et nationaux,   le   BINUH   a   fait   en   sorte   que   les   prisons   haïtiennes   reçoivent   un approvisionnement  temporaire  d’urgence   en   nourriture  et  en   médicaments.  Les pénuries alimentaires ont une incidence directe sur la santé des détenus, la plupart des cas récents de décès enregistrés dans le système pénitentiaire étant directement liés à la  malnutrition.  L’année  2022  a  été  marquée  par  une  augmentation  du  nombre  de décès, qui est passé à 185, contre 147 en 2021. Cette situation préoccupante a encore été exacerbée par l’épidémie de choléra, qui aurait été à l’origine de 42 décès parmi la population carcérale au cours de la période considérée.

35.    Les  partenaires  techniques  et  financiers  ont  continué  d’aider  les  autorités pénitentiaires à réhabiliter la prison de Petit-Goâve (département de l’Ouest) dans le cadre d’un projet d’infrastructures critiques visant à réduire la forte surpopulation de l’établissement.

V.    Droits humains

36.    Les rivalités entre des bandes lourdement armées ont continué de mettre à mal la  situation  des  droits  humains  dans la  zone  métropolitaine de  Port-au-Prince, ainsi que  dans  les  départements  de  l’Artibonite et  du  Nord.  Les  bandes  s’en  sont pris  de manière  croissante  aux  populations  locales,  tuant,  blessant  et  commettant  des  actes de  violence  sexuelle  de  manière  délibérée  au  cours  d’attaques  armées  coordonnées visant   à   étendre   leur   contrôle   territorial.   Des   policiers   auraient   également   été impliqués dans des faits de recours excessif à la force ayant entraîné des morts ou des blessés.

37.    À  Cité-Soleil (département  de l’Ouest), les bandes organisées ont continué de prendre pour cible des populations vivant dans des zones contrôlées par leurs rivaux, principalement dans le quartier de Brooklyn, au  cours d’opérations visant à déloger des  chefs  concurrents.  Il  ne  se  passe  pour  ainsi  dire  pas  une  journée  sans  que  des tireurs  d’élite  armés  de  fusils  d’assaut  tirent  sans  discernement  sur  les  habitants, y compris les femmes et les enfants, que ce soit dans la rue ou dans les maisons.

38.    Dans le cadre d’une stratégie visant à resserrer son emprise sur la capitale, une alliance  de bandes  a violemment  pris d’assaut  les  zones  du  nord,  de l’est  et  du  sud tenues par leurs rivaux. À la Croix-des-Bouquets, entre les 10 et 21 octobre, au moins

71 personnes ont été tuées, et des dizaines de résidences ont été pillées et détruites. Les  rivalités  ont  également  fait  de  nombreuses  victimes  et  porté  atteinte  aux  droits humains dans les zones de Savane Pistache (Port-au-Prince) et de Laboule 12 (Pétion- Ville),  où  des  coalitions  rivales  se  sont  affrontées  pour  le  contrôle  d’artères  clés reliant la capitale au sud du pays.

39.    La  violence  en   bande   organisée   a   également  continué   de  contraindre   les habitants à fuir leur quartier. En novembre, 39 492 personnes déplacées vivaient dans une cinquantaine de camps improvisés, et 115 647 autres étaient hébergées dans 247 communautés d’accueil situées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, portant le nombre de personnes déplacées à 155 139, ce qui représente une augmentation de

77 %  depuis  la  fin  du  mois  d’août.  En  septembre  et  en  novembre,  5 575  personnes supplémentaires, y compris des personnes qui fuyaient la zone métropolitaine de Port-au-Prince, ont été déplacées du fait d’attaques armées menées dans les départements de l’Artibonite et du Centre.

40.    Les  départements  de  l’Artibonite  et  du  Nord  ont  également  enregistré  une augmentation   du   nombre   d’atteintes   aux   droits   humains   et   d’interruptions   des activités  commerciales  dues  aux  bandes  organisées.  À  la  mi-novembre,  dans  le département de l’Artibonite, deux attaques violentes impliquant une bande locale et un groupe d’autodéfense ont fait pas moins de 22  morts parmi la population locale. Les  mouvements  d’autodéfense  se  sont  également  multipliés  dans  la  capitale  du département,  où  des  lyncheurs ont profité  de l’insuffisance de la présence policière pour  s’en  prendre  à  des  délinquants  de  droit  commun  et  à  des  membres  de  bandes organisées.

41.    L’usage excessif de la force par la police alors qu’elle tentait de rétablir l’ordre lors  de  manifestations  aurait  entraîné  la  mort  de  34  manifestants,  journalistes  et passants. En outre, cinq militants politiques appartenant à l’un des principaux partis d’opposition qui, alors qu’ils manifestaient dans la rue, ont été appréhendés par des individus vêtus d’uniformes de police. Leurs corps ont été retrouvés quelques jours plus tard.

42.    Les journalistes ont continué d’être fortement exposés à des actes de violence dans l’exercice de leur profession. Entre le 25 et le 30 octobre, trois journalistes ont été  tués  et  trois  autres  blessés  au  cours  d’opérations  de  police.  La  plupart  des  faits sont survenus dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et dans le département du Sud.

43.    Ni les enquêtes sur les massacres de La Saline (2018) et de Bel-Air (2019), ni les  enquêtes  sur  les  assassinats  de  Monferrier  Dorval  (2020)  et  du  Président  Moïse (2021) n’ont avancé.

44.    Fin  novembre,  le  Ministère  des  affaires  étrangères et  des  cultes  et  l’Office du Protecteur  du  citoyen  et  de  la  citoyenne  ont  condamné  «  le  traitement  inhumain  et dégradant » infligé aux migrants haïtiens par les autorités  dominicaines. Bien qu’un chiffre  exact  soit  difficile  à  établir,  les  informations  dont  on  dispose  indiquent  que plus de 18 000 personnes ont été contraintes de traverser la frontière de la République dominicaine   au   cours   du   mois   de   novembre.   En   l’espace   d’une   journée,   le 14 novembre,   4 582   migrants   ont   été   arrêtés   pour   être   expulsés.   Selon   des informations recueillies par l’OIM, environ 1 000 migrants sont expulsés chaque jour depuis le 20 novembre. En outre, selon l’OIM et les organisations de la société civile présentes  à  la  frontière,  un  grand  nombre  de  femmes  enceintes  ou  allaitantes  et d’enfants   accompagnés   ou   non   accompagnés   figuraient   parmi   les   personnes expulsées,   ainsi   que   des   Haïtiens   titulaires   de   visas   valides   et   des   citoyens dominicains  d’origine  haïtienne.  L’ONU  a  fourni  une  assistance  en  matière  de transport,   de   nourriture,   d’articles   d’hygiène,   de   santé   mentale   et   de   soutien psychosocial, et facilité le regroupement familial, en fonction des besoins de chacun. Au cours de la période considérée, l’ONU et des organisations de la société civile ont également constaté une augmentation des discours haineux visant les Haïtiens sur les médias sociaux, entre autres.

45.    En outre, 21 987 migrants haïtiens ont été rapatriés par voie aérienne et maritime au mois de novembre, contre 19 629 en 2021. Durant le seul mois de novembre, l’OIM a apporté une assistance à 684 migrants rapatriés à Port-au-Prince et au Cap-Haïtien par  voie  aérienne  et  maritime,  notamment  depuis  les  Bahamas  (327)  et  les  Îles Turques  et  Caïques (170), tandis que 187  migrants, dont plusieurs enfants  migrants non accompagnés, ont été reconduits par bateau après avoir été interceptés en mer par les garde-côtes américains.

Violence sexuelle

46.    Les bandes organisées ont continué d’utiliser la violence sexuelle, y compris le viol, comme une arme stratégique pour terroriser les populations, dans le but ultime d’étendre  leur  contrôle.  Lors  d’affrontements  opposant  des  bandes  à  la  Croix-des- Bouquets  en  octobre,  au  moins  40  femmes  ont  été  victimes  de  viols,  y  compris  de viols collectifs, commis par des membres de bandes lourdement armées. Ces femmes ont été délibérément attaquées parce qu’elles vivaient dans une zone contrôlée par un gang rival. Les femmes et les filles ont également continué d’être fortement exposées à des viols lors de leurs déplacements sur des routes contrôlées par des bandes.

47.    Le 14 octobre, le BINUH et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ont publié un rapport sur les violences sexuelles perpétrées par des bandes armées, dans lequel ils ont rendu compte de la manière dont les membres de  bandes  armées  utilisaient  le  viol  collectif  et  d’autres  actes  de  violence  sexuelle contre les femmes, les filles, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes et, dans une moindre mesure, les hommes et les garçons, pour infliger la terreur et punir et humilier les populations locales. Le rapport, qui fait également état des  faiblesses  de  l’action  de  prévention  et  de  protection,  contient  une  série  de recommandations  à  l’intention  des  autorités  nationales,  des  prestataires  de  services médicaux et psychosociaux et des acteurs internationaux.

48.    L’ONU a continué de collaborer avec la société civile en vue de coordonner une prise  en  charge  multisectorielle  renforcée  des  personnes  rescapées  de  violences sexuelles. Après  le  recensement  par  le  BINUH  de  52  actes  de  violences  sexuelles perpétrés  en  août  lors  d’affrontements  entre  bandes  à  Cité-Soleil,  l’équipe  de  pays des  Nations  Unies  a  coordonné  son  action  avec  les  institutions  nationales  et  les organisations de la société civile pour fournir un  soutien  médical, psychologique et socioéconomique conjoint à tous les rescapés.

VI.    Chômage, jeunesse et groupes vulnérables

49.    Les Haïtiens continuent de subir les conséquences des crises socioéconomique et de sécurité, qui aggravent les inégalités systémiques et généralisées. Alors que les niveaux  de  pauvreté  étaient  déjà  élevés,  les  pénuries  d’approvisionnement  ont  fait passer la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté à 58  %.

50.    Malgré   les   efforts   déployés   par   les   autorités   de   l’État   et  les   organismes humanitaires  pour  remédier  aux  problèmes  des  déplacements  en  masse  et  de  la protection, la situation reste particulièrement préoccupante, le nombre de personnes déplacées  du  fait  de  la  montée  de  l’insécurité  ayant  considérablement  augmenté, notamment dans la zone métropolitaine  de  Port-au-Prince. Les personnes déplacées sont  extrêmement  vulnérables,  celles-ci  étant  notamment  exposées  à  des  formes aigües de pauvreté, à des problèmes de santé, à l’exploitation socioéconomique et à la violence fondée sur le genre. Alors que 25 % des personnes déplacées vivent dans des camps improvisés et n’ont pas accès aux services de base tels que les services de traitement   de   l’eau,   d’hygiène   ou   d’assainissement,   75 %   vivent   dans   des communautés d’accueil qui doivent partager des ressources déjà rares et des services sociaux affaiblis, ce qui vient aggraver les besoins de populations déjà vulnérables. Cela  accroît  également  la  vulnérabilité  des  filets  de  protection  sociale  locaux,  les communautés d’accueil étant en première ligne, et parfois seules, pour répondre aux besoins  humanitaires.  Ces  communautés  sont  par  ailleurs  d’une  grande  utilité  aux partenaires   humanitaires   puisqu’elles   leur   permettent   d’atteindre   les   personnes déplacées pour répondre à leurs besoins croissants.

Évolution de la situation socioéconomique

51.    La détérioration de l’environnement macroéconomique augmente la probabilité d’une   cinquième   année   consécutive   de   croissance   négative   pour   l’économie haïtienne.  L’exercice  2021/22  a  été  une  nouvelle  fois  marqué  par  une  baisse  de l’activité  économique,  une  dépréciation  du  taux  de  change  et  une  accélération  de l’inflation. En octobre 2022, l’inflation d’une année à l’autre a atteint les 47,2 %, un niveau  qui  n’avait  pas  été  atteint  depuis  près  de  deux  décennies.  En  raison  de l’escalade de l’inflation, de l’augmentation  du  coût de la vie et de l’affaiblissement

de  la  chaîne  d’approvisionnement  locale,  le  nombre  de  personnes  touchées  par l’insécurité alimentaire en Haïti a augmenté de 48  %.

52.    Le  Gouvernement  ne  réalise  pas  suffisamment  de  recettes  pour  être  à  même d’investir  davantage  dans  un  secteur  agricole  qui  en  a  pourtant  cruellement besoin, alors  que  cela  lui  permettrait  de  réduire  la  dépendance  aux  produits  importés,  de favoriser  l’emploi  local  et  d’améliorer  la  sécurité  alimentaire.  En  septembre  2022, mois  de  clôture  de  l’exercice  fiscal,  les  recettes  fiscales  et  douanières  étaient inférieures  de  8,3 %  aux  objectifs,  tandis  que  les  dépenses  budgétaires  avaient augmenté de 7,8 % par rapport à 2021.

53.    Cette situation économique désastreuse a été exacerbée par une baisse de 5,5  % des  envois  de  fonds  au  cours  de  l’exercice  2021/22.  Il  s’agit  là  d’une  baisse considérable – sachant qu’on estime que les transferts de fonds représentent 23  % du produit intérieur brut – qui peut s’expliquer en partie par le fait qu’un certain nombre de  transferts  autrefois  destinés  à  Haïti  sont  maintenant  envoyés  vers  des  pays  dans lesquels  un  nombre  croissant  d’Haïtiens  ont  migré  pour  fuir  la  dégradation  des conditions de sécurité.

54.    Le  Fonds  monétaire  international  et  les  autorités  haïtiennes  ont  conçu  un programme de référence visant à aider le Gouvernement à déterminer les stratégies à adopter   pour   rétablir   la   stabilité   macroéconomique   et   réduire   l’inflation.   Ce programme, qui a été approuvé le 17 juin 2022 et prendra fin le 31 mai 2023, donne la priorité aux réformes structurelles, telles que l’amélioration de la gouvernance dans le secteur public, la mobilisation des recettes fiscales, le renforcement des capacités et l’augmentation des dépenses sociales.

55.    La crise de sécurité a également eu un impact négatif sur le développement du capital humain puisqu’elle a largement restreint l’accès de la population à l’éducation et  à  l’emploi.  L’ONU  a  activement  aidé  le  secteur  de  l’éducation  par  un  soutien technique et logistique visant à accompagner l’ouverture d’écoles, et a fourni dans ce cadre  des  kits  scolaires,  des  manuels  et  du  mobilier  à  certaines  des  66  %  d’écoles ouvertes en Haïti au 12 décembre. La situation reste  pourtant très préoccupante. En effet, seules 17 % et 27 % des écoles sont ouvertes dans les départements du Nord et du  Nord-Est,  respectivement,  et  seuls  2  des  10  départements  d’Haïti  ont  au  moins 90 % de leurs écoles ouvertes, à savoir le département des Nippes et le département du Sud (dans lequel 97 % des écoles sont ouvertes).

Protection sociale et sécurité alimentaire

56.    Depuis 2021, la situation d’Haïti s’est considérablement dégradée sur les plans de  l’alimentation  et  de  la  nutrition,  l’inflation  ayant  continué  de  grimper  et  le  coût moyen  d’un  panier  alimentaire  ayant  augmenté  de  près  de  63 %.  Comme  toujours, cette   situation   touche   les   plus   vulnérables   de   manière   disproportionnée.   Les conditions  de  sécurité,  imprévisibles,  ont  entravé  les  activités  agricoles,  empêché l’approvisionnement des marchés et ralenti les investissements en cours, notamment dans le petit commerce, qui est la principale source de revenus pour une grande partie de la population. Les moyens de subsistance des populations continuent de s’éroder et  les  partenaires  humanitaires  ont  beaucoup  de  mal  à  accéder  aux  populations  les plus vulnérables.

57.    Selon  la  dernière  analyse  du  Cadre  intégré  de  classification  de  la  sécurité alimentaire,  publiée  le  14  octobre  2022,  4,7  millions  de  personnes  se  trouvent  en situation  d’insécurité  alimentaire  aiguë  (phase  3  et  plus).  Selon  les  estimations concernant la période allant de septembre 2022 à février 2023, 19  200 personnes se trouveraient dans une situation catastrophique, vivant dans des conditions proches de la famine (phase 5), 1,8 million dans une situation d’urgence (phase 4) et 2,9 millions dans une situation de crise (phase 3). Le nombre de personnes se trouvant en situation d’urgence (phase 4) a augmenté de plus de 35,5 %. Ces tendances ne s’amélioreront probablement pas si le niveau de l’aide humanitaire n’augmente pas.

58.    L’insécurité alimentaire est désormais aggravée par le choléra, ce qui a doublé le  niveau  de  vulnérabilité.  Les  communes  de  Cité-Soleil  et  de  Port-au-Prince,  qui comptent  le  plus  grand  nombre  de  cas  suspects  et  confirmés  de  choléra,  sont également  les  plus  touchées  par  l’insécurité  alimentaire,  qui  y  atteint  des  niveaux catastrophiques, 1 habitant de Cité-Soleil sur 20 vivant dans des conditions proches de la famine (phase 5).

59.    Cette situation est encore exacerbée par la faiblesse des systèmes de protection sociale  et  le  manque  de  possibilités  d’emploi  décent.  L’agriculture  et  l’industrie agroalimentaire  demeurent  les  secteurs  les  plus  prometteurs  dans  l’immédiat  pour remédier au chômage élevé, en particulier chez les jeunes et les femmes, et améliorer la  résilience  face  aux  chocs  économiques.  L’équipe  de  pays  des  Nations  Unies  et d’autres  organisations  ont  lancé  des  appels  en  faveur  d’un  système  de  protection sociale  adaptatif  qui  aide  les  ménages  vulnérables  à  renforcer  leur  résilience  en investissant dans leur capacité à se préparer, à faire face et à s’adapter aux chocs. En concertation avec la Commission nationale de la sécurité alimentaire, l’équipe de pays des  Nations  Unies  a  apporté  son  concours  à  l’élaboration  d’un  plan  multisectoriel visant  à  appliquer  la  politique  nationale  de  souveraineté  alimentaire,  de  sécurité alimentaire et de nutrition. L’ONU appuie également la rédaction d’un plan d’action visant à mettre en œuvre la politique nationale de protection et de promotion sociales (adoptée  en  juin  2020)  et  à  faire  en  sorte  que  les  soins  de  santé,  les  transferts  en espèces,  l’éducation,  l’emploi,  la  formation  professionnelle,  les  services  sociaux  et les réformes institutionnelles forment un  système de protection  sociale fondé sur le respect des droits et favorisent une société plus juste et inclusive. Le Gouvernement a alloué 30 millions de dollars de son budget national de 2021/22 à l’appui de ce plan d’action  et  s’est  engagé  à  lui  donner  la  priorité  en  allouant  le  même  montant  pour l’exercice 2022/23 (qui court d’octobre 2022 à septembre 2023). En outre, la Banque mondiale   a   accordé   une   subvention   de   75   millions   de   dollars,   qui   permettra d’augmenter  considérablement  le  nombre  de  ménages  enregistrés  dans  le  registre social du Ministère des affaires sociales et du travail.

VII.    Services sociaux de base et résilience des ménages

60.    La  généralisation  de  l’insécurité  a  continué  de  perturber  la  prestation  des services sociaux de base dans la capitale et dans le reste du pays. La route nationale  2, qui  relie  la  capitale  à  la  péninsule  du  sud,  est  bloquée  par  des  bandes  depuis  juin 2021 : au  moins 3  millions  de  personnes  n’ont donc plus accès  à  Port-au-Prince, le centre économique du pays. Ce barrage nuit à la liberté de circulation, attise encore l’inflation  et  anéantit les  moyens  de subsistance.  Plus récemment,  les  départements du nord du pays ont été eux aussi progressivement coupés de la capitale.

61.    L’accès   au   carburant   est   resté   un   problème   majeur   pour   la   population. L’approvisionnement en carburant vers la capitale a beau avoir repris, cela n’est pas le cas vers le reste du pays. L’ONU et les partenaires humanitaires internationaux et nationaux ont de plus en plus de mal à atteindre les populations partout dans le pays, notamment celles qui se trouvent dans des camps improvisés de personnes déplacées, pour leur fournir de l’eau, de la nourriture et des soins de santé. Du  reste, les coûts opérationnels augmentent. Au 3 novembre, l’Organisation avait fourni aux partenaires humanitaires 40 000 gallons de carburant afin d’assurer la continuité des services et d’atténuer l’impact de la crise du carburant sur l’action humanitaire.

62.    Alors que le pays est frappé par une épidémie de choléra, l’accès aux services de santé est compromis par le manque de carburant, qui restreint les mouvements et entraîne des fluctuations dans l’approvisionnement en eau et en électricité, ce qui, par voie  de  conséquence,  a  des  répercussions  sur  le  fonctionnement  des  installations médicales. Les activités essentielles menées dans le cadre de la riposte au choléra ont été entravées, notamment la surveillance épidémiologique, l’installation de points de réhydratation  orale,  le  traitement  des  patients  et  leur  transport  vers  les  centres  de traitement, et  les  activités  de  sensibilisation  au  niveau  local.  En  outre,  la fermeture des ports freine considérablement l’importation de fournitures médicales.

Le point sur l’épidémie de choléra

63.    Depuis  le  signalement  d’un  premier  cas  le  2  octobre  2022,  le  nombre  de  cas suspects et de cas confirmés de choléra a rapidement augmenté (23  044 cas suspects et 1 576 cas confirmés en janvier 2023). La maladie s’est également propagée au-delà de  l’épicentre  initial  de  Port-au-Prince,  avec  des  cas  suspects  signalés  dans  les 10 départements. Les enfants sont en proportion très touchés  : en effet, au 8 janvier,

40 % des cas suspects concernaient des enfants de moins de 15 ans. Le Gouvernement accomplit  un  travail  de  coordination  remarquable  pour  lutter  contre  l’épidémie. L’ONU  continue  de  collaborer  avec  lui  ainsi  qu’avec  les  partenaires  nationaux  et internationaux  pour  faire  face  à  la  situation  et  mener  des  interventions  efficaces,  y compris en tenant compte des enseignements tirés de l’expérience.

64.    L’ONU et d’autres partenaires ont apporté un appui aux autorités nationales en fournissant du matériel médical et en aidant le Ministère de la santé publique et de la population à surveiller et à gérer les cas et à établir 94 centres de traitement du choléra à  travers  le  pays.  L’ONU  a  également  aidé  les  autorités  sanitaires  à  former  et  à déployer   900   agents   de   santé   communautaires   pour   mener   des   activités   de communication  sur  les  risques  et  de  mobilisation  communautaire.  Des  cliniques mobiles  ont  été  déployées  à  Cité-Soleil,  qui,  marquée  par  le  récent  pic  de  violence des  bandes,  est  également  l’une  des  communes  les  plus  durement  touchées  par l’épidémie  de  choléra.  Compte  tenu  de  l’augmentation  rapide  des  besoins  et  des difficultés  d’accès,  le  dispositif  d’appui  logistique  de  l’ONU  et  le  Service  aérien d’aide humanitaire des Nations Unies ont fait parvenir l’aide aux plus vulnérables.

65.    L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est essentiel pour le traitement et la  prévention  du  choléra.  Selon  les  estimations  de  la  Direction  nationale  de  l’eau potable et de l’assainissement d’Haïti, seuls 55 % de la population disposaient d’un accès régulier à l’eau potable en 2022 (48 % dans les zones rurales et 68 % dans les zones   urbaines).   La   situation   était   particulièrement   alarmante   dans   les   camps improvisés à travers toute la capitale et dans la péninsule méridionale. L’Organisation a fourni aux populations vulnérables un accès à l’eau traitée, en installant des points d’eau dans les zones les plus à risque et en distribuant des pastilles de purification et du chlore.

66.    Haïti  affichait  déjà  le  taux  de  mortalité  maternelle  le  plus  élevé  d’Amérique latine  et  des  Caraïbes.  Les  violences  récentes,  les  troubles  civils  et  l’épidémie  de choléra  ont  mis  en  danger  la  vie  de  milliers  de  femmes  enceintes  ou  allaitantes,  en particulier  celles  vivant  dans  des  camps  de  déplacés.  Lorsqu’elles  sont  sévèrement déshydratées, les femmes enceintes ont neuf fois plus de chances de perdre leur bébé. Un protocole provisoire de prise en charge des cas de choléra, en particulier pendant la grossesse, a été approuvé et est actuellement distribué aux personnes qui dispensent des soins maternels ou sont chargées de gérer les cas.

67.    Dans ce contexte, le financement du Plan de réponse humanitaire de 2022 pour Haïti  est  loin  d’être  suffisant  (seuls  43 %  des  besoins  étaient  financés  à  la  fin  de l’année). Le 15 novembre 2022, un appel éclair en faveur de la lutte contre le choléra

a été lancé, auquel se sont joints le Premier Ministre, le Ministre de la planification et de la coopération externe, la Ministre de la santé publique et de la population, les directeurs généraux de la protection civile, de l’eau potable et de l’assainissement et de la santé publique, l’ONU, les partenaires humanitaires et les donateurs.

68.    Cet appel vise à solliciter un appui financier rapide pour contenir la propagation du   choléra   grâce   à   la   conduite   d’activités   dans   les   domaines   de   l’eau,   de l’assainissement  et  de  la  santé  et  pour  répondre  aux  besoins  humanitaires  des populations se trouvant dans les zones les plus touchées, notamment leurs besoins en matière  de  sécurité  alimentaire,  de  nutrition  et  de  protection.  Il  s’agit  d’intervenir auprès de 1,4 million de personnes (sur 1,6 million de personnes se trouvant dans le besoin), ce qui nécessitera un financement de 145,6 millions de dollars. Cet appel a pour  ambition  de  s’attaquer  aux  causes  profondes  de l’instabilité  tout  en  remédiant aux lacunes de développement à long terme.

VIII.    Exploitation et atteintes sexuelles

69.    Au cours de la période du 1er  septembre au 31 décembre, le BINUH a enregistré une nouvelle allégation d’exploitation et d’atteintes sexuelles assortie d’une demande de paternité concernant le membre d’une mission actuellement déployée.

70.    La  résurgence  du  choléra,  conjuguée  à  la  situation  en  matière  de  sécurité,  a exacerbé   le   risque   d’exploitation   et   d’atteintes   sexuelles   pendant   la   réponse humanitaire, en particulier pour les femmes et les enfants déplacés. Dans ce contexte, l’équipe  de  pays  des  Nations  Unies  a  renforcé  la  surveillance  du  personnel  et  des partenaires, ses programmes d’atténuation des risques (notamment en  élaborant des supports  de  sensibilisation  adaptés  aux  enfants)  et  les  voies  de  signalement  et d’orientation  dont  disposent  les  victimes.  Le  Coordonnateur  principal  par  intérim pour la protection contre l’exploitation et les atteintes sexuelles a dirigé l’élaboration du  plan  d’action  correspondant. Il a également  mené des discussions sur l’adoption d’une  déclaration  de  haut  niveau  visant  à  réaffirmer  l’engagement  du  système  des Nations Unies et de ses partenaires d’exécution en Haïti à éliminer l’exploitation et les atteintes sexuelles.

71.    Le  projet  financé  par  le  fonds  d’affectation  spéciale  en  faveur  des  victimes d’exploitation  et  d’atteintes  sexuelles,  qui  vise  à  apporter  un  soutien  aux  mères victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles commises par d’anciens membres de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti et aux enfants nés de ces atteintes, a pris fin en septembre 2022. L’OIM a soumis une nouvelle proposition de projet  au  fonds  d’affectation  spéciale,  actuellement  en  attente  d’approbation.  Dans l’intervalle, et dans les limites imposées par l’aggravation de la situation en Haïti, la spécialiste hors classe des droits des victimes, avec l’appui du BINUH et de l’équipe de pays des Nations Unies, a continué d’apporter une assistance vitale aux mères et aux enfants.

72.    La spécialiste hors classe des droits des victimes, avec l’appui de la Défenseuse des droits des victimes et du Département des stratégies et politiques  de gestion et de la  conformité,  a  également  continué  de  collaborer  avec  les  États  Membres  pour accélérer le règlement des demandes de paternité et de pension alimentaire, et pour faciliter  l’apport  d’une  assistance  juridique  aux  mères  et  aux  enfants  dans  les  pays dont les pères sont des ressortissants.

IX.    Observations

73.    Depuis les 18 mois qui nous séparent de l’assassinat du Président Moïse, il n’a jamais   été   aussi   urgent   de   prendre   des   mesures   décisives   pour   rétablir   le fonctionnement démocratique et le respect des droits humains et de l’état de droit. Je demande  instamment à  toutes les parties prenantes d’œuvrer  ensemble  à la  mise en œuvre d’arrangements transitoires inclusifs qui soient propices à créer les conditions nécessaires au rétablissement des institutions démocratiques. Je me félicite du soutien clair et fort apporté par l’ensemble de la communauté internationale en faveur d’une solution  prise  en  main  et dirigée par les Haïtiens, qui doivent dialoguer de manière inclusive  et  véritable  pour  ouvrir  la  voie  vers  un  avenir  plus  stable  et  durable.  Je demande   également  à  nouveau   que  tout   soit   mis  en   œuvre  pour   enquêter   sur l’assassinat  du  Président  Moïse  et  d’autres  personnalités  publiques  et  pour  que  les auteurs de ces actes soient traduits en justice.

74.    Les  autorités  nationales  ont  pris  des  mesures  pour  améliorer  l’efficacité  des institutions du pays, qui ont permis notamment de mieux équiper la Police nationale. Néanmoins, les institutions haïtiennes continuent de fonctionner sous  tension. À cet égard, je tiens à exprimer ma gratitude aux donateurs qui ont participé au panier de financement  dès  son  lancement,  et  je  demande  à  la  communauté  internationale  de faire preuve de solidarité avec Haïti en cette période fragile, notamment en  honorant leur  engagement  à  verser  des  contributions  supplémentaires  à  l’appui  de  la  Police nationale d’Haïti.

75.    Bien  que  le  blocage  du  terminal  pétrolier  de  Varreux  ait  pris  fin,  je  réaffirme

qu’il  faut  de  toute  urgence  déployer  une  force  armée  spécialisée  internationale, comme  je l’ai expliqué  dans la  lettre  que j’ai adressée le  8  octobre  au  Président du Conseil  de  sécurité.  À  l’heure  où  l’opinion  publique  salue  largement  les  avancées relatives aux mesures de sanctions imposées par le Conseil, il faut absolument rétablir l’état de droit afin que le peuple haïtien puisse exercer ses droits politiques et civils, notamment le droit de voter en toute sécurité lors d’une élection générale. Il est vital que les routes principales et les installations essentielles  restent accessibles pour que l’État soit à même de fonctionner et de protéger les Haïtiens et les Haïtiennes de sorte qu’ils puissent vivre leur vie en toute sécurité.

76.    Le    renforcement    des    capacités    en    matière    de    développement    et    de fonctionnement  de  la  police  doit  s’accompagner  de  mesures  qui  permettent  au système de justice pénale d’être efficace. Bien que le Gouvernement se soit engagé à relancer  les  efforts  visant  à  réduire  le  taux  vertigineux  de  détention  provisoire,  des réformes  essentielles  doivent  être  mises  en  place  pour  remédier  aux  déficiences structurelles du système judiciaire. La récente nomination d’un nouveau président à la  Cour  de  cassation,  qui  assume  également  les  fonctions  de  Président  du  Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, permettra au système judiciaire de rester opérationnel pendant  cette  période  d’instabilité  institutionnelle.  J’encourage  toutes  les  parties prenantes du secteur judiciaire à collaborer de manière constructive pour faire en sorte que  les  tribunaux  soient  en  mesure  de  s’acquitter  de  leurs  responsabilités.  Les autorités nationales, avec l’appui de la communauté internationale, doivent également envisager de mettre en place de nouvelles mesures en ce qui concerne les enquêtes et les  poursuites  relatives  aux  infractions  graves,  notamment  en  créant  des  unités judiciaires  spécialisées.  Un  consensus  doit  être  atteint  sur  la  manière  de  mettre  en vigueur les nouveaux Code pénal et Code de procédure pénale.

77.    Le  peuple  haïtien  subit  la  pire  situation  d’urgence  humanitaire  et  de  droits humains  qu’il  ait  connu  depuis  des  décennies.  La  violence  en  bande  organisée  a aggravé l’épidémie de choléra, augmenté l’insécurité alimentaire, déplacé des milliers de  personnes  et  privé  les  enfants  d’école.  Les  femmes  et  les  filles  sont  toujours  la cible  de  violences  fondées  sur  le  genre.  Je  félicite  les  partenaires  humanitaires nationaux et internationaux qui apportent une aide vitale aux populations vulnérables. Il  faut  faire  davantage  pour  permettre  l’accès  humanitaire,  protéger  les  civils  dans tout le pays, traduire les auteurs en justice et veiller à ce que des ressources adéquates soient mises à la disposition de l’action humanitaire.

78.    Les  violations  des  droits  humains  ont  atteint  un  niveau  intolérable.  Dans  les zones contrôlées par les bandes organisées, la population est privée de ses droits les plus fondamentaux, notamment les droits à la vie, à l’eau, à la nourriture et aux soins de santé. Je demande aux partenaires d’appuyer le travail qu’effectuent le BINUH et le HCDH pour rendre compte des violations des droits humains et des atteintes à ces droits dans le but d’œuvrer à la justice et de traduire les responsables en justice. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a demandé à plusieurs reprises  aux  acteurs  nationaux,  régionaux  et  internationaux  de  se  pencher  sur  la situation.  En  outre,  étant  donné  que  la  prévalence  de  la  violence  et  la  situation humanitaire  qui  en  découle  ne  permettent  pas  un  retour  sûr  et  durable  des  Haïtiens dans leur pays, j’invite instamment les pays de la région à envisager de suspendre les expulsions  d’Haïtiens  jusqu’à  ce  que  les  crises  humanitaires  et  des  droits  humains soient suffisamment maîtrisées.

79.    Il  faut  agir  de  toute  urgence  pour  atténuer  les  effets  disproportionnés  de  la violence en bande organisée sur les femmes et les filles en Haïti. Je condamne avec la plus grande fermeté les violences  sexuelles généralisées auxquelles se livrent les bandes  armées  pour  terroriser  les  populations.  Les  rescapés  de  ces  crimes  odieux méritent  que  justice  soit  faite.  Je  demande  qu’un  système  judiciaire  responsable prenne   des   mesures   immédiates   contre   l’impunité   généralisée   dont   jouissent actuellement  les  auteurs  de  ces  crimes.  L’Organisation  continuera  d’apporter  son soutien  aux  femmes  et  aux  filles  vivant  dans  les  communautés  contrôlées  par  des bandes.

80.    Bien que le déploiement d’une spécialiste hors classe des droits des victimes sur le terrain pour défendre les droits des victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles ait permis quelques  avancées, le chemin  à parcourir pour obtenir justice reste  semé d’obstacles. L’Organisation s’engage à renforcer le dialogue avec les États Membres pour  améliorer  l’accès  des  victimes  aux  mécanismes  judiciaires  et  non  judiciaires pertinents.

81.    En cette période sombre, je renouvelle ma solidarité avec le peuple haïtien, en particulier  avec  les  jeunes,  qui  méritent  un  avenir  plus  sûr,  plus  prospère  et  plus équitable. Je souhaite par ailleurs saluer le personnel des Nations Unies en Haïti pour les efforts continus qu’il déploie et le dévouement dont il fait preuve, sous la direction de ma représentante spéciale et de ma représentante spéciale adjointe. L’Organisation continuera  d’épauler  Haïti,  pour  l’aider  trouver  une  solution  durable  et  nationale  à cette crise dévastatrice.

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