Rapport
I. Introduction
1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2645 (2022) du Conseil de sécurité, par laquelle celui-ci a décidé de proroger jusqu’au 15 juillet 2023 le mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) défini dans la résolution 2476 (2019) portant création du BINUH et d’ajuster le délai de présentation de rapports, le faisant passer de 120 à 90 jours. Il retrace les principaux faits nouveaux survenus depuis mon précédent rapport (S/2022/761) et fait le point sur l’exécution du mandat du Bureau.
II. Politique et bonne gouvernance
2. Au cours du dernier trimestre, le climat politique du pays a été influencé par les trois initiatives ci-après : l’adoption de la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité, par laquelle le Conseil a établi un régime de sanctions en vue d’imposer des mesures (interdiction de voyager, gel des avoirs et embargo sur les armes ciblé) aux personnes qui entretiennent, directement ou indirectement, des relations avec des groupes armés et des réseaux criminels ; l’imposition par deux États Membres de sanctions bilatérales à l’encontre de plusieurs personnalités haïtiennes ; la demande faite par le Gouvernement haïtien de déployer une force armée spécialisée internationale pour aider la Police nationale d’Haïti à lutter contre l’insécurité liée aux actes criminels des bandes armées, demande à laquelle j’ai répondu en proposant le déploiement d’une force d’action rapide.
3. La violence liée aux bandes organisées a atteint des niveaux inégalés depuis des décennies et reste la principale menace pour la sécurité publique en Haïti. Ces bandes armées ont cherché à étendre leur influence dans des quartiers de la zone métropolitaine de Port-au-Prince qui étaient, jusqu’à récemment, considérés comme relativement sûrs. À Port-au-Prince, les rivalités entre bandes ont déplacé des dizaines de milliers de personnes, dont la plupart se sont réfugiées dans des camps improvisés qui, devenus eux-mêmes le théâtre d’infractions violentes, ont mis encore plus à mal les capacités d’une police nationale déjà débordée.
4. Ma représentante spéciale pour Haïti a continué d’encourager les principales parties prenantes et les blocs politiques à dialoguer pour parvenir à un accord qui soit piloté par les Haïtiens. Les pourparlers directs qui ont été menés début octobre entre le Premier Ministre Ariel Henry et un membre éminent de la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise ( « groupe de Montana ») n’ont pas donné de résultats tangibles. Plus tard le même mois, des groupes de la société civile ont entamé des consultations avec des groupes politiques, des entreprises, des associations professionnelles et des syndicats, qui ont abouti à l’élaboration du Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes, un accord qui dresse la liste des mesures nécessaires à la tenue d’élections, à savoir, entre autres : la mise en place d’un haut conseil multipartite de transition ; la création d’un organe de contrôle de l’action gouvernementale ; la restauration complète de la Cour de cassation ; la formation d’un nouveau conseil électoral provisoire ; l’élaboration de réformes constitutionnelles, en vue de rétablir des institutions démocratiquement élues dans un délai de 18 mois. Une série de réunions et de négociations informelles se sont tenues en octobre et en novembre à Port-au-Prince et dans le reste du pays pour renforcer le soutien à cet accord.
5. Le 6 décembre, les groupes de la société civile qui avaient dirigé ces consultations ont publié leur première déclaration en tant qu’« Équipe indépendante de facilitation », dans laquelle ils soulignaient la nature inclusive des négociations et les efforts qu’il déployaient pour consolider dans un document unique les propositions formulées par les parties prenantes. L’Équipe indépendante de facilitation a également demandé à tous les groupes politiques, associations de la société civile et entreprises du secteur privé de surmonter leurs différences pour se mettre d’accord, d’ici à la fin de 2022, sur le document relatif au Consensus national, et de collaborer avec le Gouvernement pour mettre le pays sur la voie de la restauration de l’ordre démocratique. Le 8 décembre, des chefs d’entreprise ont publié une déclaration dans laquelle ils exhortaient à leur tour toutes les parties prenantes à travailler main dans la main pour remettre le pays sur la voie de la ten ue d’élections.
6. Le 21 décembre, le Consensus national a été signé par le Premier Ministre et un large éventail de parties prenantes, dont certains signataires de l’Accord de Montana, divers groupes non alignés, la société civile, des groupes religieux, le secteur privé et un grand groupement politique se faisant appeler « le compromis historique ». Le Premier Ministre a annoncé le lancement, au mois de janvier, d’une série de discussions multipartites visant à permettre aux signataires et non-signataires d’élaborer une feuille de route plus détaillée concernant la transition. La direction du groupe de Montana a, quant à elle, rejeté le Consensus national, le qualifiant de
« manœuvre » électorale lors d’une conférence de presse tenue le 29 décembre.
7. La demande faite par le Gouvernement de déployer d’urgence une force armée spécialisée internationale pour aider la Police nationale à lutter contre l’insécurité liée aux actes criminels des bandes armées, et ma lettre datée du 8 octobre (S/2022/747) au sujet des options qui pourraient être envisagées pour renforcer l’appui à la sécurité en Haïti, rédigée en application de la résolution 2645 (2022) du Conseil de sécurité, ont reçu un accueil mitigé dans le pays.
8. D’une part, la direction du groupe de Montana (connue sous le nom de Bureau de suivi de l’Accord) ainsi que plusieurs groupes d’opposition ont publié des déclarations dans lesquelles ils critiquaient la demande du Gouvernement et s’opposaient à ce qu’ils qualifiaient d’intervention étrangère, citant, dans certains cas, les leçons tirées du passé en matière de soutien opérationnel à la sécurité, y compris dans le domaine du maintien de la paix. Le 9 octobre, les 10 sénateurs toujours en fonctions (dont le mandat a pris fin le 9 janvier 2023) ont adopté une résolution dans laquelle ils demandaient au Premier Ministre d’annuler la décision prise le 7 octobre par le Conseil des ministres, qui avait déclenché la demande. D’autre part, une coalition de la société civile, connue sous le nom de Groupe de travail sur la sécurité, a publié le 20 octobre une déclaration dans laquelle elle demandait que le soutien
opérationnel international à la Police nationale soit clairement encadré. Le 24 octobre, des chefs d’entreprise ont publié une déclaration similaire, dans laquelle ils affirmaient que seule la présence de forces armées internationales permettrait d’éviter une catastrophe sur les plans humanitaire et de la sécurité. Le 14 décembre, l’ensemble des évêques catholiques d’Haïti ont signé un document dans lequel ils demandaient que la communauté internationale apporte un appui immédiat à la Police nationale, notamment en matière d’équipements, de formation et de réforme administrative, afin de créer les conditions propices à la relance de l’économie et de remettre le pays sur la voie de la tenue d’élections.
Sanctions des Nations Unies et sanctions bilatérales
9. Dans ce contexte, l’adoption à l’unanimité, le 21 octobre, de la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité, par laquelle le Conseil a établi des mesures de sanctions précises à l’encontre des entités et personnes inscrites sur la liste pour avoir pris part à des activités criminelles et à des actes de violence impliquant des groupes armés et des réseaux criminels, ou pour les avoir soutenus, a fait les gros titres des médias du pays. Pour que le public fasse la distinction entre la portée du régime de sanctions établi par le Conseil de sécurité et le mandat du BINUH, le Bureau s’est employé à faire mieux connaître la résolution, notamment en organisant des séances d’information avec les médias nationaux.
10. En novembre et en décembre, deux États Membres ont annoncé la mise en place de sanctions bilatérales visant plusieurs personnalités politiques haïtiennes. Parmi elles figuraient un ancien président, deux anciens premiers ministres, pas moins de trois anciens parlementaires, deux sénateurs (en fonctions au moment de leur désignation), deux ministres d’État ayant démissionné pendant la période considérée et un ancien directeur général des douanes. Ces sanctions comprenaient des interdictions de voyager et des gels d’avoirs pour participation présumée au trafic de stupéfiants ou collusion avec des bandes armées et des réseaux criminels, y compris par la facilitation ou la protection de leurs activités illégales au moyen du blanchiment d’argent ou d’autres actes de corruption. Le 5 décembre, l’un de ces deux États Membres a annoncé de nouvelles sanctions et gelé les avoirs que détenaient sur son territoire trois chefs d’entreprise haïtiens de premier plan, au motif qu’ils avaient utilisé leur notoriété pour protéger et faciliter les activités illégales de bandes armées criminelles en se livrant notamment au blanchiment d’argent et à d’autres actes de corruption.
11. Dans l’ensemble, le public haïtien a bien accueilli ces annonces, et de nombreux appels ont été lancés sur les médias sociaux pour que d’autres personnes soient sanctionnées. Dans le cadre du dialogue piloté par les parties prenantes haïtiennes, plusieurs organisations politiques ont suspendu leur coopération avec les personnes sanctionnées et les groupes politiques auxquels elles étaient associées, notamment le Parti haïtien Tèt Kale, auquel appartenait le Président défunt Jovenel Moïse.
Conseil électoral
12. Alors que le calendrier électoral reste incertain, le BINUH et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) continuent d’appuyer le renforcement des capacités des conseils électoraux. Ils ont par ailleurs organisé, dans le cadre du projet du Fonds pour la consolidation de la paix, une série de réunions sur la prévention de la violence électorale, auxquelles ont participé des représentants de la société civile, du secteur privé, de groupes religieux, des médias et d’autres parties prenantes. Les trois premières réunions ont eu lieu entre le 25 novembre et le 2 décembre au Cap-Haïtien (département du Nord), à Fort-Liberté (département du Nord-Est) et à Port-de-Paix (département du Nord-Ouest). Les autres réunions se sont tenues entre les 5 et 13 décembre aux Cayes, à Jérémie et à Miragoâne, dans la péninsule méridionale. Le personnel du Conseil électoral a également organisé, le 15 décembre, une manifestation à l’occasion de laquelle des praticiens des élections, des journalistes et des représentants de la société civile ont réfléchi à la mise en place de stratégies de lutte contre la désinformation, les discours haineux et les stéréotypes fondés sur le genre sur les médias traditionnels et les médias sociaux.
III. Réduction de la violence
13. Ces derniers mois ont été marqués par une augmentation constante des crimes graves et des problèmes liés aux bandes organisées. En 2022, le nombre d’homicides signalés a augmenté de 35,2 % par rapport à l’année dernière, 2 183 victimes (dont 163 femmes et 22 filles) ayant été recensées, contre 1 615 (dont 93 femmes et 19 filles) en 2021. La proportion des homicides enregistrés dans le département de l’Ouest, où la criminalité liée aux bandes est la plus répandue, était de 81,6 %. Parmi les victimes figurait un ancien candidat à la présidence, Éric Jean Baptiste, assassiné le 28 octobre, ainsi que le Directeur de l’Académie nationale de police, Harington Rigaud, tué le 25 novembre. Les enlèvements ont également continué d’augmenter, pour afficher une hausse de 104,7 %. Selon la police, ceux-ci ont fait 1 359 victimes (dont 294 femmes et 23 filles) en 2022, contre 664 en 2021. Les troubles civils n ’ont fait qu’aggraver la situation. En 2022, l’Organisation des Nations Unies a recensé au moins 1 490 manifestations, barrages routiers et barricades, soit une augmentation de 35,5 % par rapport à l’année précédente.
14. Le Conseil supérieur de la Police nationale a tenu plusieurs réunions extraordinaires au cours de la période considérée, en vue de définir des mesures de lutte contre le crime et la violence des bandes organisées. Dans ce cadre, le Gouvernement a commandé un premier lot de six nouveaux véhicules blindés, dont la Police nationale a fait l’acquisition le 15 octobre. Une autre procédure d’achat a été lancée pour acquérir des équipements de protection du personnel et du matériel tactique.
15. Désormais équipée de nouveaux véhicules blindés et formée à l’intervention tactique par des experts internationaux, la Police nationale a intensifié les patrouilles dans tout le pays et mené des opérations antigang, ce qui a donné des résultats mitigés mais parfois notables, par exemple l’arrestation de plusieurs dizaines de membres de bandes. Cependant, malgré la détermination dont elle a fait preuve pour endiguer la criminalité et lutter contre les bandes, la police, débordée et en manque cruel de personnel et de ressources, n’a pas été en mesure, à elle seule, d’empêcher la montée alarmante de la violence des bandes organisées. Le BINUH continue d’aider ses interlocuteurs nationaux à relever les défis institutionnels, politiques et procéduraux auxquels font face les services de maintien de l’ordre, notamment en leur fournissant des conseils de gestion pour améliorer la planification des opérations, en coordination avec des unités spécialisées dans les opérations antigang.
Blocage du terminal de Varreux et crise du carburant
16. Le blocage de Varreux, le plus grand terminal pétrolier d’Haïti, qui avait commencé le 18 septembre alors que le pays était secoué par des troubles civils et des manifestations, a continué de perturber presque tous les aspects de la vie quotidienne, et ce jusqu’au mois de novembre. L’interruption des transports publics qui en a découlé a contraint les écoles, les marchés, les banques et les entreprises de rester fermés, ce qui a entraîné la réduction, voire la suspension des services dans les hôpitaux et les centres de santé, et empêché l’acheminement de l’aide humanitaire. La violence s’est intensifiée, notamment les meurtres, les enlèvements, les incendies criminels, le vandalisme et les pillages. Des manifestants ont attaqué et pillé des entrepôts utilisés par l’équipe de pays des Nations Unies, dont l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, le PNUD, le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets et le Programme alimentaire mondial, ainsi que des entrepôts et des installations gérés par des organisations non gouvernementales. Or, une grande partie de la nourriture et des fournitures perdues faisaient partie des stocks d’intervention d’urgence destinés aux personnes les plus vulnérables.
17. Soumise à une pression croissante pour mettre fin au blocage de Varreux et éliminer les barricades et les tranchées mises en place par les bandes organisées pour empêcher les camions de carburant d’accéder au terminal, la Police nationale a plusieurs fois échoué, durant le mois d’octobre, à reprendre le contrôle. Les unités de police spécialisées sont finalement parvenues à accéder au terminal pétrolier le 3 novembre grâce à leurs nouveaux véhicules blindés tactiques, après deux jours de combats intenses. Le 5 novembre, le Ministère des travaux publics, des transports et des communications et les Forces armées d’Haïti avaient rétabli l’accès au terminal. Les stations-service ont été progressivement réapprovisionnées dans les jours qui ont suivis et la vente de carburant au public a pu reprendre le 12 novembre dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.
18. Bien que le terminal de Varreux soit désormais partiellement opérationnel, l’Autorité portuaire nationale et d’autres ports commerciaux continuent d’être constamment attaqués par des bandes. Le transport routier reste risqué, les conteneurs d’expédition et les marchandises étant régulièrement détournés et pillés. La police a continué d’avoir du mal à maintenir des patrouilles à proximité des ports, tandis que les bandes ont gardé le contrôle de la plupart des principales voies de transport reliant Port-au-Prince aux départements du nord et du sud du pays.
Programmes de lutte contre la violence de proximité
19. Le fait que les bandes utilisent de manière croissante des enfants et des jeunes femmes pour étendre leur influence montre que pour briser le cycle de la violence, il faut traiter certaines vulnérabilités de manière holistique. Dans ce contexte, le BINUH continue de fournir une assistance au groupe de travail interministériel sur le désarmement, le démantèlement, la réinsertion et la réduction de la violence de proximité. Cependant, la mise en œuvre de la stratégie nationale de désarmement, de démantèlement, de réinsertion et de réduction de la violence de proximité adoptée en
2021 ne pourra progresser qu’avec l’apport d’un appui supplémentaire. Après la suspension de ses activités, survenue au plus fort de la crise du carburant, le groupe de travail a été réactivé le 17 décembre avec l’appui du BINUH.
20. Malgré les problèmes de sécurité et d’accès, les initiatives de dialogue intercommunautaire se sont poursuivies dans deux quartiers vulnérables de la zone métropolitaine de Port-au-Prince (Martissant et La Saline). Elles ont été appuyées par l’équipe de pays des Nations Unies et des partenaires locaux. Six sessions de dialogue intercommunautaire ont ainsi été organisées, qui se sont accompagnées d’un renforcement des organisations sociales et locales. Les bénéficiaires ont reçu une formation professionnelle et un soutien psychosocial, et un appui technique et financier a continué d’être offert à des microentreprises dirigées par des femmes.
21. La communauté internationale reste déterminée à aider les autorités nationales à lutter contre la prolifération des armes et des munitions illicites dans le pays. Une évaluation de base, achevée au cours de la période considérée par le Centre régional des Nations Unies pour la paix, le désarmement et le développement en Amérique latine et dans les Caraïbes, met en évidence le travail politique, juridique et opérationnel qui reste à faire dans le pays pour combattre efficacement cette menace
de prolifération. Les partenaires sont prêts à aider les autorités nationales à mettre en œuvre le Caribbean Firearms Road Map (plan d’action pour l’exécution durable des mesures prioritaires contre la prolifération illicite des armes à feu et des munitions dans les Caraïbes à l’horizon 2030), qui, achevé en août 2022, doit être signé par le Premier Ministre.
Armes illicites et programmes de financement
22. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a continué d’aider les autorités haïtiennes à combattre les trafics illicites en mettant en œuvre le Programme de gestion des frontières, qui comprend notamment le Programme de contrôle des conteneurs, le Projet de communication aéroportuaire et le Programme mondial de lutte contre la criminalité maritime. Pour ce faire, il a reçu du Gouvernement haïtien un million de dollars de fonds de démarrage. Des fonds supplémentaires sont nécessaires à la formation des unités spécialisées dans le contrôle des conteneurs et l’analyse des profils à tous les points d’entrée. Un
financement bilatéral supplémentaire sera mis à disposition dans le cadre du projet de panier de financement. Les bandes ayant la mainmise sur les zones portuaires et les voies d’accès, la mise en œuvre de ces programmes a pris du retard.
23. En dépit de ces difficultés, l’ONUDC a réalisé des progrès au cours de la période considérée, notamment en apportant un soutien juridique à la rédaction du nouveau code des douanes. En outre, des études sont actuellement élaborées pour aider les principales parties prenantes à mieux comprendre la réalité et l’ampleur du trafic d’armes à feu et de drogues en Haïti. L’ONUDC et l’Organisation des États américains ont mis sur pied une proposition visant à donner plus de moyens aux autorités haïtiennes pour qu’elles soient à même d’enquêter sur les affaires de corruption, de criminalité économique et de blanchiment d’argent et sur les infractions connexes et qu’elles puissent poursuivre et juger leurs auteurs, et à améliorer l’échange d’informations avec les enquêteurs internationaux sur la criminalité transnationale organisée.
IV. Sécurité et état de droit
24. La Police nationale d’Haïti a continué de s’acquitter de sa mission en se dotant de davantage de moyens, en améliorant la déontologie et la discipline dans ses rangs et en relevant le moral de ses fonctionnaires. Ces efforts n’ont pourtant pas empêché ses effectifs de continuer à diminuer et d’afficher des taux élevés d’attrition dus aux décès, aux licenciements et aux démissions. Au 31 décembre 2022, elle comptait
14 861 agents, dont 1 740 femmes (soit 11,7 %). Les taux élevés de désertion, les suspensions temporaires dans l’attente d’enquêtes administratives et les autres absences se traduisent par un effectif opérationnel approchant les 13 500 personnes, dont environ 9 700 sont disponibles pour le service actif. Par ailleurs, selon certaines informations, un grand nombre de policiers seraient associés à des bandes sévissant dans la capitale.
25. Le manque de personnel été en partie compensé par la remise des diplômes, le
23 décembre, aux élèves de la trente-deuxième promotion de l’Académie nationale de police (soit 714 nouveaux agents de police, dont 174 femmes). Si l’on compte les nouveaux agents, le ratio police/population a légèrement augmenté pour atteindre
1,2 agents pour 1 000 habitants, mais reste inférieur à la norme recommandée par l’ONU de 2,2 agents pour 1 000 habitants. Parallèlement, le recrutement de la trente- troisième promotion de cadets est en cours à l’échelle nationale, celui-ci comptant 2 732 candidats, dont 644 femmes. Afin que davantage de femmes soient recrutées, des sessions de renforcement des capacités ont été organisées en 2022 pour une cinquantaine de candidates dans le département du Sud, dans le cadre d’un projet d’intégration des questions de genre appuyé par un donateur international. Le 23 décembre, 94 officiers de police, dont 5 femmes, ont été promus au rang de commissaire de police après avoir suivi avec succès une formation de sept mois. La cérémonie de remise des diplômes de la deuxième classe des Forces armées d’Haïti, composée de 409 membres, dont 92 femmes, s’est tenue le 22 décembre.
26. Les opérations menées quotidiennement pour contrer le phénomène toujours prégnant des bandes armées a continué d’épuiser les ressources de la police et d’entraver la prestation d’autres services courants essentiels. Afin de tenir compte des pressions opérationnelles croissantes et de la hausse des coûts, le budget de la Police nationale a été augmenté de 45 % par rapport à l’exercice 2021/22.
27. Au cours des trois dernières années, de nombreuses installations de police ont été endommagées ou détruites par des catastrophes naturelles ou des actes criminels perpétrés par des bandes. Rien qu’en 2021 et 2022, plus d’une centaine d’attaques délibérées ont visé des infrastructures de police, causant des dommages tels que des dizaines de postes de police qui ont dû être reconstruits d’urgence. La situation étant la même pour les équipements et les véhicules de police, une bonne partie de l a flotte de patrouille était hors d’usage en raison du manque d’entretien et de la pénurie des pièces de rechange. Malgré les efforts récemment déployés par le Gouvernement pour remédier aux graves pénuries d’équipement, des fonds supplémentaires sont nécessaires pour compléter le budget de la Police nationale, à défaut de quoi il ne sera probablement pas possible d’améliorer véritablement la situation en matière de sécurité publique.
Panier de financement visant à appuyer la professionnalisation de la Police nationale d’Haïti
28. La mobilisation autour de la situation de sécurité en Haïti continue de croître grâce l’action concertée menée par la communauté internationale au cours du dern ier trimestre de 2022 pour appuyer la professionnalisation de la Police nationale. Appuyées par le BINUH, les activités de plaidoyer en faveur d’un programme conjoint d’appui à la Police nationale d’Haïti géré par le PNUD (« panier de financement ») ont jusqu’à présent permis d’obtenir des promesses de dons d’un montant de 17,75 millions de dollars, sur les 28 millions demandés. Après la mise en route de certaines activités clés, notamment l’évaluation de la diligence voulue en matière de droits humains et la rédaction d’un mandat, le groupe de travail technique, composé de membres de la Police nationale, d’entités des Nations Unies et de partenaires financiers, a tenu sa première réunion le 30 novembre, à l’occasion de laquelle il a validé le plan d’action relatif à la mise en œuvre du programme.
29. Fin 2022, des ressources financières ont été allouées aux fins de l’exécution d’un total de 15 activités sélectionnées par la direction de la Police nationale en coordination avec le PNUD et le BINUH. L’un des principaux projets en cours consiste à mettre en place un système de contrôle des antécédents des agents de police permettant au Service de recrutement permanent et à l’Inspection générale de la Police nationale de mieux vérifier les antécédents des recrues et d’assurer un contrôle continu des agents de police en service tout au long de leur carrière. D’autres activités sont menées dans les domaines du renseignement policier, de la gestion des actifs et des infrastructures de police, ou concernent l’achat d’équipements, notamment de véhicules, de motos, de radios portatives, de drones et de mobilier de bureau.
Affaires judiciaires et pénitentiaires
30. Le 11 novembre, le Conseil des ministres a nommé le juge Jean-Joseph Lebrun au poste de Président de la Cour de cassation, mettant ainsi fin à la vacance prolongée
qui avait suivi le décès du précédent Président de la Cour en juin 2021. Si certaines organisations de la société civile ont mis en doute la constitutionnalité de cette nomination, la plupart des acteurs du secteur judiciaire ont salué les qualifications de M. Lebrun et se sont félicités de cette nomination, celle-ci constituant une étape essentielle vers le retour à une Cour de cassation opérationnelle. En prêtant serment le 22 novembre pour la présidence de la Cour de cassation, M. Lebrun est automatiquement devenu Président du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et été investi des pouvoirs financiers correspondants, ce qui a permis au Conseil d’atteindre le quorum requis et d’allouer les crédits nécessaires aux activités courantes.
31. Toutefois, la violence liée aux bandes organisées a continué de compromettre le fonctionnement du système judiciaire, notamment les efforts déployés pour réduire le taux élevé de détention provisoire prolongée. À la fin de l’année, les autorités de l’État n’avaient toujours pas repris le contrôle des locaux du Tribunal de première instance de Port-au-Prince, qui avaient été dévalisés et occupés par des membres de bandes à la mi-juin 2022. Le Tribunal de première instance de la Croix-des-Bouquets (département de l’Ouest), qui avait été attaqué et incendié fin juillet par des membres de bandes, est toujours temporairement hébergé dans plusieurs bâtiments gouvernementaux à Tabarre (département de l’Ouest).
32. Lors de sa prise de fonction en tant que nouvelle Ministre de la justice et de la sécurité publique par intérim, Emmelie Prophète-Milcé (également Ministre de la culture et de la communication) a annoncé qu’elle s’attaquerait en priorité à la surpopulation carcérale et au taux excessif de détention provisoire prolongée. Le
28 novembre, elle a rencontré les chefs des poursuites des 18 juridictions d’Haïti pour leur demander instamment de mesurer soigneusement la portée du recours à la détention pour les délits mineurs et d’accélérer les affaires en cours. À cet égard, le 1er décembre, elle a envoyé une circulaire à tous les procureurs, les enjoignant d’émettre au moins 10 actes d’accusation par mois parmi les cas de détention provisoire en suspens et annonçant des mesures administratives à l’encontre de ceux qui ne respecteraient pas cet objectif. Elle les y chargeait également d’assurer le suivi de la sécurité et de la santé dans les prisons.
33. Au 31 décembre, les prisons haïtiennes comptaient au total 11 161 détenus, dont 285 femmes, 266 garçons et 8 filles, leur taux d’occupation global était estimé à 278,8 %, et 9 278 détenus étaient en attente de jugement. Au cours de la période considérée, les autorités judiciaires se sont montrées animées d’un sentiment d’urgence renouvelé pour régler le problème déjà ancien de la détention provisoire prolongée. Après avoir examiné les cas de détenus qui, placés en détention provisoire, pouvaient prétendre à une libération, le comité spécial lancé le 14 octobre avec l’appui technique du BINUH a approuvé la libération de 350 détenus. Grâce aux activités du comité, qui se compose de juges de haut rang, de l’Office du Protecteur du citoyen et de la citoyenne, du Procureur général de la juridiction de Port-au-Prince, du Ministère de la justice et de la sécurité publique, des autorités policières et pénitentiaires et du Conseil national d’assistance légale, deux recours d’habeas corpusont pu être lancés au Tribunal de première instance de Port-au-Prince, au nom de 93 personnes en détention provisoire. Ces auditions ont abouti à la libération de 81 détenus entre le 3 novembre et le 28 décembre dans cette seule juridiction. Le taux de détenus placés en détention provisoire n’en est pas moins resté très élevé (83,1 %).
34. L’interruption des approvisionnements due au blocus des voies d’accès au terminal pétrolier de Varreux par des bandes ayant accentué les pénuries chroniques de nourriture, de médicaments, d’eau et de gaz de cuisine, les conditions de vie des détenus dans les prisons haïtiennes, déjà précaires, se sont dégradées. En coordination avec l’équipe de pays des Nations Unies et d’autres partenaires internationaux et nationaux, le BINUH a fait en sorte que les prisons haïtiennes reçoivent un approvisionnement temporaire d’urgence en nourriture et en médicaments. Les pénuries alimentaires ont une incidence directe sur la santé des détenus, la plupart des cas récents de décès enregistrés dans le système pénitentiaire étant directement liés à la malnutrition. L’année 2022 a été marquée par une augmentation du nombre de décès, qui est passé à 185, contre 147 en 2021. Cette situation préoccupante a encore été exacerbée par l’épidémie de choléra, qui aurait été à l’origine de 42 décès parmi la population carcérale au cours de la période considérée.
35. Les partenaires techniques et financiers ont continué d’aider les autorités pénitentiaires à réhabiliter la prison de Petit-Goâve (département de l’Ouest) dans le cadre d’un projet d’infrastructures critiques visant à réduire la forte surpopulation de l’établissement.
V. Droits humains
36. Les rivalités entre des bandes lourdement armées ont continué de mettre à mal la situation des droits humains dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, ainsi que dans les départements de l’Artibonite et du Nord. Les bandes s’en sont pris de manière croissante aux populations locales, tuant, blessant et commettant des actes de violence sexuelle de manière délibérée au cours d’attaques armées coordonnées visant à étendre leur contrôle territorial. Des policiers auraient également été impliqués dans des faits de recours excessif à la force ayant entraîné des morts ou des blessés.
37. À Cité-Soleil (département de l’Ouest), les bandes organisées ont continué de prendre pour cible des populations vivant dans des zones contrôlées par leurs rivaux, principalement dans le quartier de Brooklyn, au cours d’opérations visant à déloger des chefs concurrents. Il ne se passe pour ainsi dire pas une journée sans que des tireurs d’élite armés de fusils d’assaut tirent sans discernement sur les habitants, y compris les femmes et les enfants, que ce soit dans la rue ou dans les maisons.
38. Dans le cadre d’une stratégie visant à resserrer son emprise sur la capitale, une alliance de bandes a violemment pris d’assaut les zones du nord, de l’est et du sud tenues par leurs rivaux. À la Croix-des-Bouquets, entre les 10 et 21 octobre, au moins
71 personnes ont été tuées, et des dizaines de résidences ont été pillées et détruites. Les rivalités ont également fait de nombreuses victimes et porté atteinte aux droits humains dans les zones de Savane Pistache (Port-au-Prince) et de Laboule 12 (Pétion- Ville), où des coalitions rivales se sont affrontées pour le contrôle d’artères clés reliant la capitale au sud du pays.
39. La violence en bande organisée a également continué de contraindre les habitants à fuir leur quartier. En novembre, 39 492 personnes déplacées vivaient dans une cinquantaine de camps improvisés, et 115 647 autres étaient hébergées dans 247 communautés d’accueil situées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, portant le nombre de personnes déplacées à 155 139, ce qui représente une augmentation de
77 % depuis la fin du mois d’août. En septembre et en novembre, 5 575 personnes supplémentaires, y compris des personnes qui fuyaient la zone métropolitaine de Port-au-Prince, ont été déplacées du fait d’attaques armées menées dans les départements de l’Artibonite et du Centre.
40. Les départements de l’Artibonite et du Nord ont également enregistré une augmentation du nombre d’atteintes aux droits humains et d’interruptions des activités commerciales dues aux bandes organisées. À la mi-novembre, dans le département de l’Artibonite, deux attaques violentes impliquant une bande locale et un groupe d’autodéfense ont fait pas moins de 22 morts parmi la population locale. Les mouvements d’autodéfense se sont également multipliés dans la capitale du département, où des lyncheurs ont profité de l’insuffisance de la présence policière pour s’en prendre à des délinquants de droit commun et à des membres de bandes organisées.
41. L’usage excessif de la force par la police alors qu’elle tentait de rétablir l’ordre lors de manifestations aurait entraîné la mort de 34 manifestants, journalistes et passants. En outre, cinq militants politiques appartenant à l’un des principaux partis d’opposition qui, alors qu’ils manifestaient dans la rue, ont été appréhendés par des individus vêtus d’uniformes de police. Leurs corps ont été retrouvés quelques jours plus tard.
42. Les journalistes ont continué d’être fortement exposés à des actes de violence dans l’exercice de leur profession. Entre le 25 et le 30 octobre, trois journalistes ont été tués et trois autres blessés au cours d’opérations de police. La plupart des faits sont survenus dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et dans le département du Sud.
43. Ni les enquêtes sur les massacres de La Saline (2018) et de Bel-Air (2019), ni les enquêtes sur les assassinats de Monferrier Dorval (2020) et du Président Moïse (2021) n’ont avancé.
44. Fin novembre, le Ministère des affaires étrangères et des cultes et l’Office du Protecteur du citoyen et de la citoyenne ont condamné « le traitement inhumain et dégradant » infligé aux migrants haïtiens par les autorités dominicaines. Bien qu’un chiffre exact soit difficile à établir, les informations dont on dispose indiquent que plus de 18 000 personnes ont été contraintes de traverser la frontière de la République dominicaine au cours du mois de novembre. En l’espace d’une journée, le 14 novembre, 4 582 migrants ont été arrêtés pour être expulsés. Selon des informations recueillies par l’OIM, environ 1 000 migrants sont expulsés chaque jour depuis le 20 novembre. En outre, selon l’OIM et les organisations de la société civile présentes à la frontière, un grand nombre de femmes enceintes ou allaitantes et d’enfants accompagnés ou non accompagnés figuraient parmi les personnes expulsées, ainsi que des Haïtiens titulaires de visas valides et des citoyens dominicains d’origine haïtienne. L’ONU a fourni une assistance en matière de transport, de nourriture, d’articles d’hygiène, de santé mentale et de soutien psychosocial, et facilité le regroupement familial, en fonction des besoins de chacun. Au cours de la période considérée, l’ONU et des organisations de la société civile ont également constaté une augmentation des discours haineux visant les Haïtiens sur les médias sociaux, entre autres.
45. En outre, 21 987 migrants haïtiens ont été rapatriés par voie aérienne et maritime au mois de novembre, contre 19 629 en 2021. Durant le seul mois de novembre, l’OIM a apporté une assistance à 684 migrants rapatriés à Port-au-Prince et au Cap-Haïtien par voie aérienne et maritime, notamment depuis les Bahamas (327) et les Îles Turques et Caïques (170), tandis que 187 migrants, dont plusieurs enfants migrants non accompagnés, ont été reconduits par bateau après avoir été interceptés en mer par les garde-côtes américains.
Violence sexuelle
46. Les bandes organisées ont continué d’utiliser la violence sexuelle, y compris le viol, comme une arme stratégique pour terroriser les populations, dans le but ultime d’étendre leur contrôle. Lors d’affrontements opposant des bandes à la Croix-des- Bouquets en octobre, au moins 40 femmes ont été victimes de viols, y compris de viols collectifs, commis par des membres de bandes lourdement armées. Ces femmes ont été délibérément attaquées parce qu’elles vivaient dans une zone contrôlée par un gang rival. Les femmes et les filles ont également continué d’être fortement exposées à des viols lors de leurs déplacements sur des routes contrôlées par des bandes.
47. Le 14 octobre, le BINUH et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ont publié un rapport sur les violences sexuelles perpétrées par des bandes armées, dans lequel ils ont rendu compte de la manière dont les membres de bandes armées utilisaient le viol collectif et d’autres actes de violence sexuelle contre les femmes, les filles, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes et, dans une moindre mesure, les hommes et les garçons, pour infliger la terreur et punir et humilier les populations locales. Le rapport, qui fait également état des faiblesses de l’action de prévention et de protection, contient une série de recommandations à l’intention des autorités nationales, des prestataires de services médicaux et psychosociaux et des acteurs internationaux.
48. L’ONU a continué de collaborer avec la société civile en vue de coordonner une prise en charge multisectorielle renforcée des personnes rescapées de violences sexuelles. Après le recensement par le BINUH de 52 actes de violences sexuelles perpétrés en août lors d’affrontements entre bandes à Cité-Soleil, l’équipe de pays des Nations Unies a coordonné son action avec les institutions nationales et les organisations de la société civile pour fournir un soutien médical, psychologique et socioéconomique conjoint à tous les rescapés.
VI. Chômage, jeunesse et groupes vulnérables
49. Les Haïtiens continuent de subir les conséquences des crises socioéconomique et de sécurité, qui aggravent les inégalités systémiques et généralisées. Alors que les niveaux de pauvreté étaient déjà élevés, les pénuries d’approvisionnement ont fait passer la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté à 58 %.
50. Malgré les efforts déployés par les autorités de l’État et les organismes humanitaires pour remédier aux problèmes des déplacements en masse et de la protection, la situation reste particulièrement préoccupante, le nombre de personnes déplacées du fait de la montée de l’insécurité ayant considérablement augmenté, notamment dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Les personnes déplacées sont extrêmement vulnérables, celles-ci étant notamment exposées à des formes aigües de pauvreté, à des problèmes de santé, à l’exploitation socioéconomique et à la violence fondée sur le genre. Alors que 25 % des personnes déplacées vivent dans des camps improvisés et n’ont pas accès aux services de base tels que les services de traitement de l’eau, d’hygiène ou d’assainissement, 75 % vivent dans des communautés d’accueil qui doivent partager des ressources déjà rares et des services sociaux affaiblis, ce qui vient aggraver les besoins de populations déjà vulnérables. Cela accroît également la vulnérabilité des filets de protection sociale locaux, les communautés d’accueil étant en première ligne, et parfois seules, pour répondre aux besoins humanitaires. Ces communautés sont par ailleurs d’une grande utilité aux partenaires humanitaires puisqu’elles leur permettent d’atteindre les personnes déplacées pour répondre à leurs besoins croissants.
Évolution de la situation socioéconomique
51. La détérioration de l’environnement macroéconomique augmente la probabilité d’une cinquième année consécutive de croissance négative pour l’économie haïtienne. L’exercice 2021/22 a été une nouvelle fois marqué par une baisse de l’activité économique, une dépréciation du taux de change et une accélération de l’inflation. En octobre 2022, l’inflation d’une année à l’autre a atteint les 47,2 %, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis près de deux décennies. En raison de l’escalade de l’inflation, de l’augmentation du coût de la vie et de l’affaiblissement
de la chaîne d’approvisionnement locale, le nombre de personnes touchées par l’insécurité alimentaire en Haïti a augmenté de 48 %.
52. Le Gouvernement ne réalise pas suffisamment de recettes pour être à même d’investir davantage dans un secteur agricole qui en a pourtant cruellement besoin, alors que cela lui permettrait de réduire la dépendance aux produits importés, de favoriser l’emploi local et d’améliorer la sécurité alimentaire. En septembre 2022, mois de clôture de l’exercice fiscal, les recettes fiscales et douanières étaient inférieures de 8,3 % aux objectifs, tandis que les dépenses budgétaires avaient augmenté de 7,8 % par rapport à 2021.
53. Cette situation économique désastreuse a été exacerbée par une baisse de 5,5 % des envois de fonds au cours de l’exercice 2021/22. Il s’agit là d’une baisse considérable – sachant qu’on estime que les transferts de fonds représentent 23 % du produit intérieur brut – qui peut s’expliquer en partie par le fait qu’un certain nombre de transferts autrefois destinés à Haïti sont maintenant envoyés vers des pays dans lesquels un nombre croissant d’Haïtiens ont migré pour fuir la dégradation des conditions de sécurité.
54. Le Fonds monétaire international et les autorités haïtiennes ont conçu un programme de référence visant à aider le Gouvernement à déterminer les stratégies à adopter pour rétablir la stabilité macroéconomique et réduire l’inflation. Ce programme, qui a été approuvé le 17 juin 2022 et prendra fin le 31 mai 2023, donne la priorité aux réformes structurelles, telles que l’amélioration de la gouvernance dans le secteur public, la mobilisation des recettes fiscales, le renforcement des capacités et l’augmentation des dépenses sociales.
55. La crise de sécurité a également eu un impact négatif sur le développement du capital humain puisqu’elle a largement restreint l’accès de la population à l’éducation et à l’emploi. L’ONU a activement aidé le secteur de l’éducation par un soutien technique et logistique visant à accompagner l’ouverture d’écoles, et a fourni dans ce cadre des kits scolaires, des manuels et du mobilier à certaines des 66 % d’écoles ouvertes en Haïti au 12 décembre. La situation reste pourtant très préoccupante. En effet, seules 17 % et 27 % des écoles sont ouvertes dans les départements du Nord et du Nord-Est, respectivement, et seuls 2 des 10 départements d’Haïti ont au moins 90 % de leurs écoles ouvertes, à savoir le département des Nippes et le département du Sud (dans lequel 97 % des écoles sont ouvertes).
Protection sociale et sécurité alimentaire
56. Depuis 2021, la situation d’Haïti s’est considérablement dégradée sur les plans de l’alimentation et de la nutrition, l’inflation ayant continué de grimper et le coût moyen d’un panier alimentaire ayant augmenté de près de 63 %. Comme toujours, cette situation touche les plus vulnérables de manière disproportionnée. Les conditions de sécurité, imprévisibles, ont entravé les activités agricoles, empêché l’approvisionnement des marchés et ralenti les investissements en cours, notamment dans le petit commerce, qui est la principale source de revenus pour une grande partie de la population. Les moyens de subsistance des populations continuent de s’éroder et les partenaires humanitaires ont beaucoup de mal à accéder aux populations les plus vulnérables.
57. Selon la dernière analyse du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, publiée le 14 octobre 2022, 4,7 millions de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire aiguë (phase 3 et plus). Selon les estimations concernant la période allant de septembre 2022 à février 2023, 19 200 personnes se trouveraient dans une situation catastrophique, vivant dans des conditions proches de la famine (phase 5), 1,8 million dans une situation d’urgence (phase 4) et 2,9 millions dans une situation de crise (phase 3). Le nombre de personnes se trouvant en situation d’urgence (phase 4) a augmenté de plus de 35,5 %. Ces tendances ne s’amélioreront probablement pas si le niveau de l’aide humanitaire n’augmente pas.
58. L’insécurité alimentaire est désormais aggravée par le choléra, ce qui a doublé le niveau de vulnérabilité. Les communes de Cité-Soleil et de Port-au-Prince, qui comptent le plus grand nombre de cas suspects et confirmés de choléra, sont également les plus touchées par l’insécurité alimentaire, qui y atteint des niveaux catastrophiques, 1 habitant de Cité-Soleil sur 20 vivant dans des conditions proches de la famine (phase 5).
59. Cette situation est encore exacerbée par la faiblesse des systèmes de protection sociale et le manque de possibilités d’emploi décent. L’agriculture et l’industrie agroalimentaire demeurent les secteurs les plus prometteurs dans l’immédiat pour remédier au chômage élevé, en particulier chez les jeunes et les femmes, et améliorer la résilience face aux chocs économiques. L’équipe de pays des Nations Unies et d’autres organisations ont lancé des appels en faveur d’un système de protection sociale adaptatif qui aide les ménages vulnérables à renforcer leur résilience en investissant dans leur capacité à se préparer, à faire face et à s’adapter aux chocs. En concertation avec la Commission nationale de la sécurité alimentaire, l’équipe de pays des Nations Unies a apporté son concours à l’élaboration d’un plan multisectoriel visant à appliquer la politique nationale de souveraineté alimentaire, de sécurité alimentaire et de nutrition. L’ONU appuie également la rédaction d’un plan d’action visant à mettre en œuvre la politique nationale de protection et de promotion sociales (adoptée en juin 2020) et à faire en sorte que les soins de santé, les transferts en espèces, l’éducation, l’emploi, la formation professionnelle, les services sociaux et les réformes institutionnelles forment un système de protection sociale fondé sur le respect des droits et favorisent une société plus juste et inclusive. Le Gouvernement a alloué 30 millions de dollars de son budget national de 2021/22 à l’appui de ce plan d’action et s’est engagé à lui donner la priorité en allouant le même montant pour l’exercice 2022/23 (qui court d’octobre 2022 à septembre 2023). En outre, la Banque mondiale a accordé une subvention de 75 millions de dollars, qui permettra d’augmenter considérablement le nombre de ménages enregistrés dans le registre social du Ministère des affaires sociales et du travail.
VII. Services sociaux de base et résilience des ménages
60. La généralisation de l’insécurité a continué de perturber la prestation des services sociaux de base dans la capitale et dans le reste du pays. La route nationale 2, qui relie la capitale à la péninsule du sud, est bloquée par des bandes depuis juin 2021 : au moins 3 millions de personnes n’ont donc plus accès à Port-au-Prince, le centre économique du pays. Ce barrage nuit à la liberté de circulation, attise encore l’inflation et anéantit les moyens de subsistance. Plus récemment, les départements du nord du pays ont été eux aussi progressivement coupés de la capitale.
61. L’accès au carburant est resté un problème majeur pour la population. L’approvisionnement en carburant vers la capitale a beau avoir repris, cela n’est pas le cas vers le reste du pays. L’ONU et les partenaires humanitaires internationaux et nationaux ont de plus en plus de mal à atteindre les populations partout dans le pays, notamment celles qui se trouvent dans des camps improvisés de personnes déplacées, pour leur fournir de l’eau, de la nourriture et des soins de santé. Du reste, les coûts opérationnels augmentent. Au 3 novembre, l’Organisation avait fourni aux partenaires humanitaires 40 000 gallons de carburant afin d’assurer la continuité des services et d’atténuer l’impact de la crise du carburant sur l’action humanitaire.
62. Alors que le pays est frappé par une épidémie de choléra, l’accès aux services de santé est compromis par le manque de carburant, qui restreint les mouvements et entraîne des fluctuations dans l’approvisionnement en eau et en électricité, ce qui, par voie de conséquence, a des répercussions sur le fonctionnement des installations médicales. Les activités essentielles menées dans le cadre de la riposte au choléra ont été entravées, notamment la surveillance épidémiologique, l’installation de points de réhydratation orale, le traitement des patients et leur transport vers les centres de traitement, et les activités de sensibilisation au niveau local. En outre, la fermeture des ports freine considérablement l’importation de fournitures médicales.
Le point sur l’épidémie de choléra
63. Depuis le signalement d’un premier cas le 2 octobre 2022, le nombre de cas suspects et de cas confirmés de choléra a rapidement augmenté (23 044 cas suspects et 1 576 cas confirmés en janvier 2023). La maladie s’est également propagée au-delà de l’épicentre initial de Port-au-Prince, avec des cas suspects signalés dans les 10 départements. Les enfants sont en proportion très touchés : en effet, au 8 janvier,
40 % des cas suspects concernaient des enfants de moins de 15 ans. Le Gouvernement accomplit un travail de coordination remarquable pour lutter contre l’épidémie. L’ONU continue de collaborer avec lui ainsi qu’avec les partenaires nationaux et internationaux pour faire face à la situation et mener des interventions efficaces, y compris en tenant compte des enseignements tirés de l’expérience.
64. L’ONU et d’autres partenaires ont apporté un appui aux autorités nationales en fournissant du matériel médical et en aidant le Ministère de la santé publique et de la population à surveiller et à gérer les cas et à établir 94 centres de traitement du choléra à travers le pays. L’ONU a également aidé les autorités sanitaires à former et à déployer 900 agents de santé communautaires pour mener des activités de communication sur les risques et de mobilisation communautaire. Des cliniques mobiles ont été déployées à Cité-Soleil, qui, marquée par le récent pic de violence des bandes, est également l’une des communes les plus durement touchées par l’épidémie de choléra. Compte tenu de l’augmentation rapide des besoins et des difficultés d’accès, le dispositif d’appui logistique de l’ONU et le Service aérien d’aide humanitaire des Nations Unies ont fait parvenir l’aide aux plus vulnérables.
65. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est essentiel pour le traitement et la prévention du choléra. Selon les estimations de la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement d’Haïti, seuls 55 % de la population disposaient d’un accès régulier à l’eau potable en 2022 (48 % dans les zones rurales et 68 % dans les zones urbaines). La situation était particulièrement alarmante dans les camps improvisés à travers toute la capitale et dans la péninsule méridionale. L’Organisation a fourni aux populations vulnérables un accès à l’eau traitée, en installant des points d’eau dans les zones les plus à risque et en distribuant des pastilles de purification et du chlore.
66. Haïti affichait déjà le taux de mortalité maternelle le plus élevé d’Amérique latine et des Caraïbes. Les violences récentes, les troubles civils et l’épidémie de choléra ont mis en danger la vie de milliers de femmes enceintes ou allaitantes, en particulier celles vivant dans des camps de déplacés. Lorsqu’elles sont sévèrement déshydratées, les femmes enceintes ont neuf fois plus de chances de perdre leur bébé. Un protocole provisoire de prise en charge des cas de choléra, en particulier pendant la grossesse, a été approuvé et est actuellement distribué aux personnes qui dispensent des soins maternels ou sont chargées de gérer les cas.
67. Dans ce contexte, le financement du Plan de réponse humanitaire de 2022 pour Haïti est loin d’être suffisant (seuls 43 % des besoins étaient financés à la fin de l’année). Le 15 novembre 2022, un appel éclair en faveur de la lutte contre le choléra
a été lancé, auquel se sont joints le Premier Ministre, le Ministre de la planification et de la coopération externe, la Ministre de la santé publique et de la population, les directeurs généraux de la protection civile, de l’eau potable et de l’assainissement et de la santé publique, l’ONU, les partenaires humanitaires et les donateurs.
68. Cet appel vise à solliciter un appui financier rapide pour contenir la propagation du choléra grâce à la conduite d’activités dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et de la santé et pour répondre aux besoins humanitaires des populations se trouvant dans les zones les plus touchées, notamment leurs besoins en matière de sécurité alimentaire, de nutrition et de protection. Il s’agit d’intervenir auprès de 1,4 million de personnes (sur 1,6 million de personnes se trouvant dans le besoin), ce qui nécessitera un financement de 145,6 millions de dollars. Cet appel a pour ambition de s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité tout en remédiant aux lacunes de développement à long terme.
VIII. Exploitation et atteintes sexuelles
69. Au cours de la période du 1er septembre au 31 décembre, le BINUH a enregistré une nouvelle allégation d’exploitation et d’atteintes sexuelles assortie d’une demande de paternité concernant le membre d’une mission actuellement déployée.
70. La résurgence du choléra, conjuguée à la situation en matière de sécurité, a exacerbé le risque d’exploitation et d’atteintes sexuelles pendant la réponse humanitaire, en particulier pour les femmes et les enfants déplacés. Dans ce contexte, l’équipe de pays des Nations Unies a renforcé la surveillance du personnel et des partenaires, ses programmes d’atténuation des risques (notamment en élaborant des supports de sensibilisation adaptés aux enfants) et les voies de signalement et d’orientation dont disposent les victimes. Le Coordonnateur principal par intérim pour la protection contre l’exploitation et les atteintes sexuelles a dirigé l’élaboration du plan d’action correspondant. Il a également mené des discussions sur l’adoption d’une déclaration de haut niveau visant à réaffirmer l’engagement du système des Nations Unies et de ses partenaires d’exécution en Haïti à éliminer l’exploitation et les atteintes sexuelles.
71. Le projet financé par le fonds d’affectation spéciale en faveur des victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles, qui vise à apporter un soutien aux mères victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles commises par d’anciens membres de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti et aux enfants nés de ces atteintes, a pris fin en septembre 2022. L’OIM a soumis une nouvelle proposition de projet au fonds d’affectation spéciale, actuellement en attente d’approbation. Dans l’intervalle, et dans les limites imposées par l’aggravation de la situation en Haïti, la spécialiste hors classe des droits des victimes, avec l’appui du BINUH et de l’équipe de pays des Nations Unies, a continué d’apporter une assistance vitale aux mères et aux enfants.
72. La spécialiste hors classe des droits des victimes, avec l’appui de la Défenseuse des droits des victimes et du Département des stratégies et politiques de gestion et de la conformité, a également continué de collaborer avec les États Membres pour accélérer le règlement des demandes de paternité et de pension alimentaire, et pour faciliter l’apport d’une assistance juridique aux mères et aux enfants dans les pays dont les pères sont des ressortissants.
IX. Observations
73. Depuis les 18 mois qui nous séparent de l’assassinat du Président Moïse, il n’a jamais été aussi urgent de prendre des mesures décisives pour rétablir le fonctionnement démocratique et le respect des droits humains et de l’état de droit. Je demande instamment à toutes les parties prenantes d’œuvrer ensemble à la mise en œuvre d’arrangements transitoires inclusifs qui soient propices à créer les conditions nécessaires au rétablissement des institutions démocratiques. Je me félicite du soutien clair et fort apporté par l’ensemble de la communauté internationale en faveur d’une solution prise en main et dirigée par les Haïtiens, qui doivent dialoguer de manière inclusive et véritable pour ouvrir la voie vers un avenir plus stable et durable. Je demande également à nouveau que tout soit mis en œuvre pour enquêter sur l’assassinat du Président Moïse et d’autres personnalités publiques et pour que les auteurs de ces actes soient traduits en justice.
74. Les autorités nationales ont pris des mesures pour améliorer l’efficacité des institutions du pays, qui ont permis notamment de mieux équiper la Police nationale. Néanmoins, les institutions haïtiennes continuent de fonctionner sous tension. À cet égard, je tiens à exprimer ma gratitude aux donateurs qui ont participé au panier de financement dès son lancement, et je demande à la communauté internationale de faire preuve de solidarité avec Haïti en cette période fragile, notamment en honorant leur engagement à verser des contributions supplémentaires à l’appui de la Police nationale d’Haïti.
75. Bien que le blocage du terminal pétrolier de Varreux ait pris fin, je réaffirme
qu’il faut de toute urgence déployer une force armée spécialisée internationale, comme je l’ai expliqué dans la lettre que j’ai adressée le 8 octobre au Président du Conseil de sécurité. À l’heure où l’opinion publique salue largement les avancées relatives aux mesures de sanctions imposées par le Conseil, il faut absolument rétablir l’état de droit afin que le peuple haïtien puisse exercer ses droits politiques et civils, notamment le droit de voter en toute sécurité lors d’une élection générale. Il est vital que les routes principales et les installations essentielles restent accessibles pour que l’État soit à même de fonctionner et de protéger les Haïtiens et les Haïtiennes de sorte qu’ils puissent vivre leur vie en toute sécurité.
76. Le renforcement des capacités en matière de développement et de fonctionnement de la police doit s’accompagner de mesures qui permettent au système de justice pénale d’être efficace. Bien que le Gouvernement se soit engagé à relancer les efforts visant à réduire le taux vertigineux de détention provisoire, des réformes essentielles doivent être mises en place pour remédier aux déficiences structurelles du système judiciaire. La récente nomination d’un nouveau président à la Cour de cassation, qui assume également les fonctions de Président du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, permettra au système judiciaire de rester opérationnel pendant cette période d’instabilité institutionnelle. J’encourage toutes les parties prenantes du secteur judiciaire à collaborer de manière constructive pour faire en sorte que les tribunaux soient en mesure de s’acquitter de leurs responsabilités. Les autorités nationales, avec l’appui de la communauté internationale, doivent également envisager de mettre en place de nouvelles mesures en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions graves, notamment en créant des unités judiciaires spécialisées. Un consensus doit être atteint sur la manière de mettre en vigueur les nouveaux Code pénal et Code de procédure pénale.
77. Le peuple haïtien subit la pire situation d’urgence humanitaire et de droits humains qu’il ait connu depuis des décennies. La violence en bande organisée a aggravé l’épidémie de choléra, augmenté l’insécurité alimentaire, déplacé des milliers de personnes et privé les enfants d’école. Les femmes et les filles sont toujours la cible de violences fondées sur le genre. Je félicite les partenaires humanitaires nationaux et internationaux qui apportent une aide vitale aux populations vulnérables. Il faut faire davantage pour permettre l’accès humanitaire, protéger les civils dans tout le pays, traduire les auteurs en justice et veiller à ce que des ressources adéquates soient mises à la disposition de l’action humanitaire.
78. Les violations des droits humains ont atteint un niveau intolérable. Dans les zones contrôlées par les bandes organisées, la population est privée de ses droits les plus fondamentaux, notamment les droits à la vie, à l’eau, à la nourriture et aux soins de santé. Je demande aux partenaires d’appuyer le travail qu’effectuent le BINUH et le HCDH pour rendre compte des violations des droits humains et des atteintes à ces droits dans le but d’œuvrer à la justice et de traduire les responsables en justice. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a demandé à plusieurs reprises aux acteurs nationaux, régionaux et internationaux de se pencher sur la situation. En outre, étant donné que la prévalence de la violence et la situation humanitaire qui en découle ne permettent pas un retour sûr et durable des Haïtiens dans leur pays, j’invite instamment les pays de la région à envisager de suspendre les expulsions d’Haïtiens jusqu’à ce que les crises humanitaires et des droits humains soient suffisamment maîtrisées.
79. Il faut agir de toute urgence pour atténuer les effets disproportionnés de la violence en bande organisée sur les femmes et les filles en Haïti. Je condamne avec la plus grande fermeté les violences sexuelles généralisées auxquelles se livrent les bandes armées pour terroriser les populations. Les rescapés de ces crimes odieux méritent que justice soit faite. Je demande qu’un système judiciaire responsable prenne des mesures immédiates contre l’impunité généralisée dont jouissent actuellement les auteurs de ces crimes. L’Organisation continuera d’apporter son soutien aux femmes et aux filles vivant dans les communautés contrôlées par des bandes.
80. Bien que le déploiement d’une spécialiste hors classe des droits des victimes sur le terrain pour défendre les droits des victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles ait permis quelques avancées, le chemin à parcourir pour obtenir justice reste semé d’obstacles. L’Organisation s’engage à renforcer le dialogue avec les États Membres pour améliorer l’accès des victimes aux mécanismes judiciaires et non judiciaires pertinents.
81. En cette période sombre, je renouvelle ma solidarité avec le peuple haïtien, en particulier avec les jeunes, qui méritent un avenir plus sûr, plus prospère et plus équitable. Je souhaite par ailleurs saluer le personnel des Nations Unies en Haïti pour les efforts continus qu’il déploie et le dévouement dont il fait preuve, sous la direction de ma représentante spéciale et de ma représentante spéciale adjointe. L’Organisation continuera d’épauler Haïti, pour l’aider trouver une solution durable et nationale à cette crise dévastatrice.