Gonaives – 56è anniversaire du CIC | Hommage à Me Norgaisse et allocution du Dr. R.P. Nestor Fils-Aimé c.s.v

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Père Nestor Fils Aimé: « Actes de vandalisme du 16 septembre 2022, les pertes sont évaluées à environ 512 021, 00 USD« .

A l’occasion du 56è anniversaire de la fondation du Collège Immaculée Conception des Gonaives (CIC), célébré virtuellement cette année, un programme de témoignage de reconnaissance à l’intention de l’ancien professeur émérite Me. Antoine Norgaisse et le RP Gilles Héroux, a été planifié et coordonné par des associations d’anciens étudiants de cette grande institution chrétienne. Au cours de cette soirée qui a rassemblé plusieurs centaines d’anciens camarades de plusieurs promotions sortantes, devenus aujourd’hui de professionnels accomplis, les actes de vandalisme perpétrés le 16 septembre dernier, ont été passés en revue.

« Que s’est-il passé exactement? Quelle lecture faut-il en faire? Pourquoi la rage particulière au CIC?« , se questionne Dr. R.P. Nestor Fils-Aimé, le Supérieur provincial des Clercs de Saint-Viateur (c.s.v.), dans son allocution du jour. Il invite l’assistance à « questionner l’événement du 16 septembre pour comprendre la réalité » et d’aborder ce qui s’est passé tout en assurant que « le CIC renaitra de ses cendres« .

Rezo Nòdwès dont le rédacteur en chef est lui-même un CICéen de souche, profite pour rendre hommage à la qualité du travail fourni jeudi soir par l’équipe technique supervisée par Vincent Coq, Elie Pierre et DuChatelier Karl-Henry pour rendre possible cette belle rencontre en famille. Nous vous invitons maintenant à lire le texte intégral de l’allocution du RP. Nestor Fils-Aimé, reproduite ci-dessous.

Honorable Me Antoine Norgaisse

Cher Père Gilles Héroux, mon confrère Viateur,

Cher Père Ferry François, mon confrère directeur du CIC

Chers membres du comité organisateur de cette rencontre

Chers anciens et anciennes élèves de notre immortel CIC

Chers professeurs et éducateurs passés et présents au CIC

Chers élèves actuels du CIC

Chers amis,

Chers invités,

Mesdames, mesdemoiselles et messieurs

Celui qui prend la parole devant vous ce soir, c’est d’abord et avant tout l’humble frère CICéen, dépositaire comme vous d’un vaste héritage fait de fierté, de succès et de rêves concrétisés. Dans la conclusion de mon ouvrage : Collège Immaculée-Conception des Gonaïves, Notre école de la vie, à l’occasion du 50e anniversaire de notre institution en 2016, j’écrivais : « Notre collège ne doit pas perdre son âme. Les générations d’élèves des cinquante prochaines années doivent retirer le même sentiment de fierté et de satisfaction d’avoir rencontré des éducateurs qualifiés qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes avec une grande conscience professionnelle. Ils doivent développer le même sentiment d’appartenance à une institution qui a gravé son nom dans leur cœur. Ils doivent chérir le jour où ils ont été admis à cette Maison d’éducation, façonneuse d’hommes et de femmes aussi achevés que remarquables… »

Je remercie le comité organisateur pour cette initiative qui permet à des membres de notre famille de se retrouver en cette fête de l’Immaculée Conception de Marie, celle qui a porté le Fils de Dieu et qui a tenu bon jusqu’au pied de la Croix en assistant impuissante à une injustice innommable : l’assassinat de son fils. Le contexte de ce rassemblement virtuel ne nous ramène-t-il pas à ce drame humain qu’a vécu cette femme simple et pauvre mais combien résiliente et fidèle à son Fiat! Qu’il me soit fait selon ta Parole. Je souhaite à chacun et chacune de vous CICéens / CICéennes et proches de notre famille un anniversaire rempli d’espérance et de courage.

Je félicite le comité organisateur d’avoir choisi de mettre sous les feux de la rampe, deux personnages de grande classe qui ont marqué l’histoire des 56 ans de notre alma mater. Je salue et félicite les deux illustres éducateurs dont l’apport et la présence ont été soulignés à grands traits. Vingt-trois ans et neuf ans, c’est trente-deux ans d’une contribution impressionnante de deux géants où le droit, les lettres, la langue espagnole, l’histoire, la littérature et la Parole de Dieu ont tenu le haut du pavé. Je salue mon bien aimé confrère, le père Gilles Héroux. Hier midi encore, à table, il parlait de la soirée, d’Erna qui doit venir à la maison provinciale. J’ai fait semblant de tout ignorer de ce qui allait se passer ce soir, question de ne pas ajouter à la pression palpable chez mon confrère octogénaire. Le père Héroux est un passionné de lettres classiques et de la belle liturgie, un éducateur et un pédagogue raffiné. Ce missionnaire qui a donné de belles années dans notre pays laisse le souvenir d’un homme joyeux, avec un grand sens de l’humour et de la taquinerie, un être attachant et fidèle à ses amis. Un geste d’une grande noblesse que de souligner l’accomplissement de l’un de ces missionnaires qui ont laissé le confort et la sécurité de leur pays pour s’exposer à la misère et l’insécurité de notre Haïti, surtout au cours de la décennie entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990; des années de répression, d’élections noyées dans le sang en 1987, de Gambéta Hyppolite, années de coups d’État sanglant en 1991, de Castera Cénafils, de massacres à Raboteau etc. Je salue un confrère directeur général du collège en 1994 qui a entrepris les démarches en vue de l’obtention des fonds nécessaires à la construction de la nouvelle aile. Bravo et merci P. Gilles!.

Avant de payer également un tribut de reconnaissance à notre honorable Me Norgaisse, permettez que je rende un hommage à celui qui nous a quittés le 28 novembre dernier, journée désormais doublement marquante dans l’histoire de notre collège. Je veux rendre un hommage au feu F. Lucien Rivest qui a passé vingt-deux ans comme missionnaire en Haïti dont quatorze aux Gonaïves à remplir diverses fonctions. Quand, inopinément, à cause de sa santé, le P. Gilles Héroux a quitté Gonaïves et Haïti en juin 1995, c’est le F. Lucien Rivest qui a pris la relève à la fois en qualité de DG du CIC et Supérieur des Clercs de Saint-Viateur en Haïti. Il dirigera les travaux de construction de la nouvelle aile et sera présent lors de l’inauguration le 8 décembre 1996. Homme humble et effacé, le F. Lucien était ce religieux donné entièrement à sa mission et dévoué à perdre la raison. Un peu juste un mois avant son décès, il m’écrivit à l’occasion de mon anniversaire de naissance, le 21 octobre dernier : « À mon Supérieur provincial. Je me joins à toute la communauté viatorienne et à tes parents pour que cette fête soit mémorable…Que le Seigneur tout aimant te comble de ses grâces de paix…Garde le courage pour rire aux éclats, comme j’aime t’entendre le faire. Je pense à toi bien souvent et j’admire tes engagements malgré tout. Au plaisir de te rencontrer ». Ce sera de l’autre côté cette rencontre avec ce frère Viateur sans préjugés et sans différenciation parmi ses frères. Je salue la mémoire de ce grand frère. Que du haut du Ciel, il reçoive notre reconnaissance. Il aurait mérité avant sa mort un bel hommage pour sa contribution aux Gonaïves. Ses funérailles seront célébrées au printemps, soit en avril ou mai 2023.

Je voudrais maintenant saluer un professeur qui m’a personnellement marqué et qui demeure parmi l’un de mes plus grands formateurs du CIC. Je veux parler de Me Joseph Antoine Norgaisse. J’ajoute mon témoignage à ceux déjà entendus pour dire combien Me Norgaisse est une figure importante dans l’histoire de plusieurs générations du CIC. Je vous réfère à la page 233 de mon ouvrage sur le CIC pour relire cet hommage que je lui ai rendu :

« Inoubliable ce bon vivant, cet enseignant à la répartie facile, cet excellent professeur d’espagnol, de littérature haïtienne, d’histoire d’Haïti et de sciences sociales. Me Norgaisse savait se faire apprécier de ses élèves. Il faisait aimer toutes les disciplines qu’il enseignait… »

Je n’ai jamais vécu pour une longue durée dans un pays de langue espagnole et pourtant aujourd’hui je maîtrise suffisamment cette langue pour ne pas avoir besoin de traduction lors des rencontres internationales de ma Congrégation. J’ai beaucoup appris à l’école de cet homme simple, imperturbable, d’une grande bonté et d’une infinie sensibilité. Merci Me Norgaisse!

Chers amis,

Je n’aurais pas accepté de prendre la parole dans le cadre d’une fête en faisant abstraction de ce que nous vivons dans un pays où danse la mort.

Je me serais senti irresponsable et insouciant d’embarquer dans une célébration de la fête de notre collège comme si rien ne s’était passé. Le moment est au questionnement, à la méditation et à la recherche des voies de sortie.

J’appuie entièrement le père Dudley Pierre, Supérieur des Clercs de Saint-Viateur d’Haïti qui porte avec son conseil le poids de ce drame qui a touché trois de nos institutions ainsi que la résidence des Clercs de Saint-Viateur aux Gonaïves. Le père Dudley et son équipe ne savent à quel saint se vouer pour situer d’abord l’événement du 16 septembre dernier et ensuite tenter de cheminer pour voir le bout de ce tunnel creusé par des esprits surchauffés et téléguidés. Je salue le courage du père Ferry François, directeur du collège qui tient bon malgré l’incertitude et avec la peur au ventre. Bravo mon petit frère!

Je reprends à mon compte ce passage d’un article du Docteur Daniel Dérivois sous le titre Haïti, angle mort. Il dit et je cite :

« Tout se passe comme si, par une culpabilité inconsciente, le peuple se déracinait lui-même, en écho et en réaction à son arrachement aux terres africaines et à l’extermination coloniale des Taïnos. Avec cette nouvelle attaque des lieux d’éducation, la mémoire des collégiens Jean-Robert Cius, Daniel Israël et Mackenson Michel, abattus par balles le 28 novembre 1985 aux Gonaïves pendant la lutte contre la dictature de Duvalier, se trouve en péril, comme celle des nombreux assassinats qui ont jalonné l’histoire d’Haïti. Le cri d’humanité lancé aux peuples de la terre depuis la ville des Gonaïves par l’acte d’indépendance est ainsi étouffé. » Article disponible en ligne à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-esprit-2022-12-page-21.htm

Oui, nous sommes blessés au cœur car notre peuple est déshumanisé par ses propres fils et filles qui, à petits feux, ont éteint son âme. Aujourd’hui, nous ne venons pas nous lamenter sur ce qui nous a été sauvagement arraché. Nous ne venons pas non plus nous apitoyer sur notre sort et attendre que les solutions nous arrivent du ciel ou par une baguette magique. Nous avons choisi de renaître de nos cendres. Pour y arriver, nous avons beaucoup d’étapes à franchir, beaucoup de pas à effectuer, beaucoup de chemin à parcourir.

Avec le conseil des Viateurs d’Haïti, nous avons envisagé une démarche en trois étapes suivant la perspective du Voir – Juger- Agir si chère aux mouvements de réflexion axé sur la doctrine sociale de l’Église catholique dans les années 50 à 80.

  1. Voir

Il s’agit de questionner l’événement du 16 septembre pour comprendre la réalité. Que s’est-il passé exactement? Quelle lecture faut-il en faire? Pourquoi la rage particulière au CIC? Quelle est l’ampleur des dégâts ? Comment tous : dirigeants viatoriens, population gonaïvienne, anciens et anciennes du CIC, parents et élèves d’aujourd’hui, abordons-nous ce qui s’est passé?

  • Juger

Il s’agit d’accueillir la situation et de l’affronter à sa juste mesure. Identifier les facteurs de prévention, de risques et de protection. Calculer les dispositifs à mettre en place et les mesures à adopter.

  • Agir

Il s’agit de frayer des passages pour se relancer et rester debout dans le vent. Quelle (s) action (s) chaque entité consent à poser en vue de faciliter et de concrétiser cette renaissance.

Bob Dylan ne chantait-il pas

“Combien de routes un homme doit-il emprunter

Avant qu’on puisse l’appeler un homme ?

Combien de mers doit parcourir une colombe blanche

Avant de dormir dans le sable ? »

Et de conclure : « La réponse, mon ami, souffle dans le vent »

 
Nos réponses à nous ne volent pas dans le vent. Elles s’inscrivent dans le concret de ce que nous sommes et de ce que nous voulons pour notre ville et pour notre pays.

Aujourd’hui l’avenir même de la présence viatorienne aux Gonaïves se trouve au cœur d’une sérieuse réflexion engagée par les Viateurs. Quatre entités sur cinq liées aux Viateurs ont été touchées. Seule l’école Cyr-Guillo, sous la direction des CSV depuis 2001 n’a pas fait l’objet de pillage et de saccage.

Un autre élément de poids qui joue dans la balance et qui préoccupe beaucoup les responsables viatoriens d’Haïti : le Collège Immaculée-Conception n’est pas une propriété des Clercs de Saint-Viateur mais du diocèse des Gonaïves. Rien ne peut être entrepris sans l’aval de l’Ordinaire du Diocèse, en l’occurrence Mgr Yves-Marie Péan. Plusieurs pistes sont envisagées relativement au statut de notre CIC. Il y a beaucoup de pain sur la planche.

Chers collègues, CICéens d’un jour,  CICéens un jour, CICéens toujours,

Renaître de nos cendres est une tâche ardue qui demande beaucoup d’investissement en temps, en énergie, en réflexion, en argent.

Certains disent qu’ils ne doivent rien au CIC puisque leurs parents avaient payé le prix pour qu’ils puissent fréquenter le collège. À ceux-là je réponds que l’éducation n’a pas de prix. Un jour, M Larousse B. Pierre, exaspéré, par une malencontreuse remarque d’un élève, répondait de sa voix un peu nasillarde : Entel ou pa ta ka peye m pou m vin la. Tu n’aurais pas pu me payer pour que je sois ici. En célébrant les services du Père Héroux et de Me Norgaisse, nous comprenons clairement que ce qu’ils nous ont donné n’a pas de prix et ne saurait être monnayé.

D’autres disent encore :  Pè yo gen lajan se pou yo degaje yo!. Les pères ont de l’argent, qu’ils s’arrangent!

Malheureusement ce jugement et cette conception sont erronés. Les Viateurs d’Haïti sont engagés dans un processus d’autonomie à tous les points de vue, processus qui les conduira à être une région viatorienne et plus tard une province religieuse. Ils doivent voler de leurs propres ailes. Les CSV au Canada sont frappés par les phénomènes du vieillissement et de la sécularisation. Le dernier religieux né canadien est entré en communauté, il y a trente-deux ans, en 1990. Moins de 20 religieux ont moins de 70 ans. S’ajoutent à cela, des poursuites judiciaires qui ont lessivé presque tous les avoirs de la Congrégation au Canada.

L’inventaire et l’évaluation des pertes aux Gonaïves accusent un montant de 512 021 $ USD. Une résolution adressée au conseil provincial du Canada par le conseil de la Fondation d’Haïti se lit ainsi :

C.F. 2022-73 : Le Supérieur de la Fondation d’Haïti, P. Dudley PIERRE, du consentement unanime de son Conseil, recommande au Conseil provincial du Canada de se pencher sur cette situation difficile que vit la Fondation d’Haïti, particulièrement la communauté locale des Gonaïves, en vue de l’aider, selon ses moyens, à relancer les activités scolaires dans la cité de l’indépendance en rééquipant les écoles et la Résidence Père-Marcel-Sainte-Marie victimes des actes de vandalisme le 16 septembre 2022, à savoir que les pertes sont évaluées à environ  CINQ CENT DOUZE MILLE VINGT-ET-UN DOLLARS américains (512 021,00 USD)

Pour le seul Collège Immaculée-Conception, les pertes s’élèvent à 187 048 $.

Le conseil de la province du Canada que je préside fait de son mieux en frappant aux portes de la Congrégation au niveau international. Ce qui est certain c’est qu’à aucun endroit ce montant global sera disponible. De plus, nous ne pouvons continuellement laisser notre vie se reposer sur l’aide extérieure. Alors, vous comprenez que l’initiative prise par le comité de relance de lancer une campagne de levée de fonds trouve un écho favorable au conseil provincial et nous donne des arguments pour demander de l’aide à nos frères et sœurs Viateurs au niveau international.

Chers collègues, CICéens d’un jour,  CICéens un jour, CICéens toujours,

Chers membres de cette auguste assistance virtuelle,

Au nom de tous, je fais appel à votre générosité à la fois sur le plan des idées et aussi par votre contribution financière. Je viens frapper à vos portes et vous invite à frapper à des portes d’amis, de collègues, qu’ils soient Gonaïviens, Haïtiens ou Étrangers, quelles que soient leurs appartenances ethniques, sociales, religieuses ou culturelles. Nous avons besoin de tous et de vous tous et toutes pour ce coumbite de la renaissance. Nos institutions ne mourront pas. Notre collège vivra.

Et c’est avec ce passage de la fameuse chanson de John Lennon IMAGINE que je termine ce trop long discours :

« …Imaginez tous les gens vivre la vie en paix…

Vous pouvez dire que je suis un rêveur mais je ne suis pas le seul

J’espère qu’un jour vous vous joindrez à nous et le monde sera comme un »

Je vous remercie de votre écoute. Je suis P. Nestor Fils-Aimé, de la promotion 79-85

Nestor Fils-Aimé, c.s.v.

Nestor Fils-Aimé, c.s.v.
8 décembre 2022

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