Bernard Gousse répond à Patrice Dalencour :  »Le Nationalisme n’est pas une tare »

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LE NATIONALISME N’EST PAS UNE TARE

En réponse à M. Patrice DALENCOUR

Cher Patrice,

Ton billet intitulé « La vingt-sixième  heure » interpelle par la sincérité des sentiments exprimés, la correction du ton employé et la logique qui le sous-tend. Il appelle à la réflexion du lecteur par l’intelligence que tu y déploies et surtout par la nécessité de prendre conscience de l’urgence de la situation.

Après plusieurs relectures, je me suis résolu à y répondre non pour en prendre systématiquement le contrepied mais pour démontrer que l’on peut, malgré l’angoisse existentielle, faire une place à la raison dans l’intérêt du pays. Comme toi, je n’inviterai pas à ce débat ceux qui, installés à l’étranger, pérorent sur tous les médias, loin des menaces sur leurs vies et qui ne sont surtout pas prêts à venir ici partager notre sort. Je n’invoquerai pas non plus à l’appui de ma démarche les mânes de nos aïeux tant ce que nous avons fait de ce pays insulte leur mémoire. Je te réponds donc en tant qu’Haïtien ayant choisi de vivre et d’éduquer mes enfants ici et que n’habite nul désir d’émigrer. Nous subirons donc ensemble le même sort quel qu’il soit. Je te réponds en revendiquant le mot « nationaliste » lancé çà et là comme une injure alors que je me reconnais dans la définition que l’on en trouve dans le dictionnaire comme désignant une personne attachée passionnément à sa nation et cherchant à faire prédominer l’intérêt national par rapport aux intérêts particuliers ou par rapport aux autres pays. Ma réponse est nourrie de l’idéal du bien de ce pays et de l’expérience acquise à voir de près le mode de fonctionnement des forces étrangères stationnées chez nous, expérience faite de frictions et de frustrations.

Si je résume l’esprit de ton plaidoyer, tu nous dis que les hommes, femmes et enfants d’aujourd’hui sont prisonniers de bandes dépourvues de tout frein moral ; que nous tous sommes à terme menacés d’un holocauste de meurtres, de carbonisations et de viols, dans un entreprise génocidaire qui précipiterait la collectivité entière dans l’anéantissement de la nation. Sans l’acceptation de l’aide étrangère, ta prédiction funeste se réalisera, et c’est sur nos cendres et nos tombeaux que les nationalistes régneront. Donc, que les armées étrangères interviennent, malgré toute la douleur que cela nous causerait dans notre fierté blessée !

La démonstration est si éloquente qu’elle emporte l’adhésion de beaucoup de tes lecteurs et je serais tenté d’y souscrire car, lorsqu’on est au fonds d’un puits, l’on ne regarde pas la couleur de la main qui nous sauve de la noyade.

Cependant, permets-moi de ne pas vouloir livrer mon destin à la bienveillance de forces dont l’intention altruiste est douteuse et l’ardeur à combattre pour nous hypothétique. Je pourrais aussi convoquer à la barre les âmes des mitraillés de Marchaterre ou celle de Rosalvo Bobo. Plus près de nous, je pourrais faire défiler les orphelins du choléra ou, ceux qui ne connaîtront jamais leurs pères qui les ont fait naître par distraction avant de repartir contents et oublieux vers leurs lointains pays.

Je me souviens aussi que lorsqu’il fallut combattre l’entreprise terroriste de l’Opération Bagdad, la Police Nationale qui comptait alors le quart de l’effectif d’aujourd’hui, sous la conduite de chefs courageux, dont feu le Commissaire Lochard, connut des succès significatifs alors que les soldats de la MINUSTAH se cachaient dans leurs blindés.

Alors que la PNH compte aujourd’hui presque quatre fois plus d’hommes qu’il y a dix-sept ans, pourquoi partir du principe qu’elle est incapable de faire face à cette menace quand on ne se donne pas la peine de l’entraîner, de l’équiper et de la commander convenablement ? Pourquoi s’interdire de se doter d’une force militaire digne de ce nom sous le diktat des étrangers alors qu’on veut leur sous-traiter la résolution de nos problèmes ? Tu conviendras donc avec moi combien la situation actuelle résulte d’une paresse intellectuelle débouchant sur une absence de politique en matière de sécurité.

Ceci étant dit, et même en supposant nécessaire l’intervention d’armées étrangères, je ne souscris pas à la demande du gouvernement haïtien ni à la résolution de l’ONU qui y fait droit telles qu’elles ont été formulées, car elles laissent sans réponse des questions essentielles, le flou pouvant avoir des effets pervers sur la population et, à terme, sur notre souveraineté.

Je rappelle que l’armée est l’outil d’une politique et que l’outil militaire est mis au service d’objectifs stratégiques clairs. En l’absence de clarté des objectifs stratégiques, les planificateurs militaires se trouvent dans l’impossibilité de dimensionner la force ni de l’équiper adéquatement pour la réalisation d’une mission dont ne sont déterminés ni le contour ni la durée. Dans ce cas, il serait irresponsable pour tout chef militaire de risquer la vie de ses soldats pour rien et, tout chef d’état-major déconseillera aux décideurs civils de s’embarquer dans une aventure indéfinie, à plus forte raison sur un théâtre d’opérations extérieur.

Si nous reprenons les demandes nationales et onusiennes, il s’agirait pour la force multinationale étrangère de débloquer le Terminal de Varreux, d’assurer l’approvisionnement des hôpitaux, de la police et d’assurer la sécurité des voies de communication. Ces demandes soulèvent des questions dont les réponses aujourd’hui demeurent au mieux floues.

I.- DÉBLOQUER LE TERMINAL DE VARREUX

Au moment où je t’écris, le Terminal est débloqué et la sortie des camions citernes est possible. Cela résulte plus d’un retrait volontaire monnayé des gangs que d’une opération réussie des forces de l’ordre. L’on peut à première vue s’en  réjouir, mais l’honnêteté commande de constater que la composition et l’armement des gangs qui en empêchaient l’entrée n’ont nullement été amoindris. Donc le terminal demeure à portée de feu et sous la menace des bandes avoisinantes. L’on peut choisir pour sécuriser la zone une posture défensive ou à l’inverse une posture offensive.  Selon que l’on choisisse l’une ou l’autre option, l’importance des troupes, leur armement et leur ordre de mission seront tout à fait différents. Ni le gouvernement, ni les pays promoteurs de l’intervention armée n’ont de réponse. La mission n’est pas claire, ses objectifs sont indéfinis.

II.- ASSURER L’APPROVISIONNEMENT ET LA SÉCURITÉ DES VOIES DE COMMUNICATION TERRESTRES

L’idéal est de faire en sorte que la circulation soit libre du Cap aux Cayes. Or, le territoire est aujourd’hui fractionné en de multiples points. Le goulot de Martissant qui commande l’accès au tiers méridional du pays est sous la coupe des bandes armées. D’autres gangs, au niveau de Canaan, Arcahaie, Gonaïves rendent la route du Nord pour le moins risquée. L’accès au Plateau Central est interdit dans la zone de la Croix-des-Bouquets qui ouvre la voie au Morne-à-Cabris. Comment résoudre cette équation ?

L’on peut se contenter de patrouilles régulières sur les axes routiers. Ou, l’on peut choisir de sécuriser des convois de camions citernes ou de camions de camions de marchandises pour empêcher les détournements devenus courante, avec le risque de harcèlement de ces convois.

Le dimensionnement des forces dépendra du choix opéré lors des deux options entre une posture défensive ou une posture offensive. La seconde posture soulève une autre question relative au nombre acceptable de morts civiles. Quel est le seuil acceptable, pour les Haïtiens que nous sommes, de pertes de vies innocentes ? Quel est pour toi, Patrice, le seuil acceptable de vies civiles perdues dans une telle configuration ?

III.- RÉDUIRE L’INSÉCURITÉ

La capitale et certaines villes de province (p.ex. Petite Rivière de l’Artibonite) sont quasiment occupées par des bandes armées dont chacun de nous subit l’horreur des méfaits. Elles méritent donc d’être démantelées. Se contentera-t-on d’une présence dissuasive comme le faisait la MINUSTAH ? Dans ce cas, les gangs se réfugieront dans un attentisme prudent, attendant que le dernier soldat étranger embarque dans l’avion.

À l’inverse, attend-on de ces forces qu’elles investissent les quartiers ? Je te repose la même question. Quel est le nombre de civils morts ayant servi de boucliers humains es-tu prêt à accepter, lors des affrontements qui ne manqueront pas de se produire ?

Dans les deux hypothèses ne sont pas déterminés les critères objectifs aux termes desquels on pourra dire que la mission aura été accomplie et que les étrangers peuvent repartir. Au bout de combien de temps ? Ou est-ce la colère populaire suscitée soit par leur passivité soit par leur férocité qui leur signera leur visa de sortie ?

IV.- LA DÉFINITION DES PARAMÈTRES D’INTERVENTION

Les paragraphes précédents démontrent que je n’accorde pas une vertu incantatoire à la formule qui parodierait le cantique : « Venez, Divine Armée, nous rendre espoir et nous sauver ». Trop de paramètres sont à considérer qui ne le sont pas encore. Dans un souci de respect minimum de notre souveraineté, il n’est pas évident que le commandement de la PNH soit partie prenante dans leur élaboration, alors que les discussions concernant notre destin se tiennent plutôt à Washington, Ottawa ou à Brasilia. Il est surtout insultant que les FADH soient méprisées et ignorées lors de ces conversations.

À laisser la corde longue aux étrangers, nous courons le risque d’une présence a minima inefficace ou d’une présence indéfinie dans le temps. On ne sait pas le poids de la partie haïtienne dans les choix et l’affinement des objectifs et des moyens à mettre en œuvre.

V.- RÈGLES D’ENGAGEMENT ET RESPONSABILITÉ

Dans toutes les hypothèses envisagées, je t’ai présenté l’alternative stratégique entre une posture purement défensive et une autre plus offensive. Les règles d’engagement sont à définir selon la posture envisagée : tirs de riposte uniquement ou possibilité d’ouvrir le feu dans le cas d’offensive ? L’incertitude en ce cas est complète, à tout le moins pour nous, Haïtiens.

Et, quelle que soit la philosophie adoptée, imposera-t-on au Gouvernement des accords garantissant l’immunité juridictionnelle aux soldats, quels que soient les actes commis comme cela s’est fait par le passé ? Imposera-t-on au Gouvernement des soldats provenant d’États n’ayant pas ratifié la Convention de Rome établissant la Cour Pénale Internationale et définissant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ? Une réponse positive à ces questions représente un blanc-seing pour tous ceux qui ont la gâchette facile et une garantie d’impunité pour tout éventuel massacre qui pourrait être commis sur notre population sous prétexte de combattre les gangs armés.

Je n’alourdirai pas mon propos en laissant volontairement de côté pour le moment l’aspect politique de la problématique de l’intervention étrangère ainsi que l’identification de ses bénéficiaires. Cela requerrait un autre débat. Mais je suis prêt à participer à la démarche visant à doter notre pays de véritables forces de sécurité pour éviter la position humiliante de demander une aide que l’on est réticent à nous fournir.

En conclusion, même si ma seule voix ne peut l’empêcher, même si, à certains égards, on pourrait me convaincre de sa nécessité, je ne peux abdiquer ma responsabilité citoyenne de demander au nom de quoi et comment l’intervention étrangère se déroulerait en Haïti.

Non, Cher Patrice, le nationalisme n’est point une tare !

Bernard GOUSSE

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