Haïti-Occupation 1915 | Marchaterre ou le massacre du 6 décembre 1929

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L’intervention militaire étrangère sollicitée en septembre 2022, par l’esclave à talent Dr. Ariel Henry, qui est déjà lancée, met en danger la vie des manifestants foulant partout le macadam, exigeant un changement radical de l’administration du pays, qu’ils savent impossible avec celui-ci, au pouvoir.

Dans la mesure où les Américains se donnent pour mission, à travers leurs militaires, de maintenir le neurochirurgien à la primature, il faut craindre la possibilité d’une hécatombe en Haïti. Car avec la présente détermination du peuple haïtien voulant se débarrasser, à tout prix, du Dr. Henry, il y a de fortes chances que cette force d’intervention devienne les nouveaux bourreaux des Haïtiens, à l’instar de l’Armée américaine intervenant au pays, en 1915, dont le massacre le plus cruel et barbare reste celui de Marchaterre, à la sortie sud de la ville des Cayes, dans le département du Sud, le 6 décembre 1929. (Extrait de l’éditorial H-O, mercredi 19 octobre 2022)

Marchaterre ou le massacre du 6 décembre 1929.

L’occupation militaire d’un pays étranger dépend toujours d’une condition préalable qui
est l’accord et le soutien des classes dominantes ou de l’une ou de plusieurs fractions
d’entre elles. Les occupants doivent subjectivement aussi être prédisposés, pour asseoir
leur méfait, à massacrer tous les patriotes qui s’y sont opposés ou qui leur ont refusé leur collaboration. Haïti n’a pas fait exception à ces règles pendant les trois occupations
qu’elle a subies successivement par les yankees en 1915 et en 1994 et par la Mission des
Nations-unies pour la Stabilité d’Haïti (MINUSTAH) en 2004. Celle-ci qui n’est rien
d’autre qu’une force de l’empire tamisée par l’ONU, a été précédée des troupes
américaines et françaises qui s’étaient octroyées le 29 février de l’année commémorative
du bicentenaire de notre Indépendance, la mission de forcer le président Aristide à
abandonner le pouvoir et à emprunter le chemin de l’exil.

Le 28 juillet 1915, les marines américains ont débarqué dans le pays en arguant le
prétexte d’y rétablir l’ordre. Il est vrai que l’on ne saurait oublier la récurrence des luttes
internes qui embrasaient nos plaines, nos mornes et nos villes depuis la mort de
Dessalines le 17 octobre.

Cependant, à l’exception du mouvement paysan dirigé par les Goman et les Acaau, qui a débuté sous le règne de Pétion en 1807, trois ans après la proclamation de notre Indépendance, – d’ailleurs le poids de la famille Salomon, grand propriétaire foncier et politicien, qui à certain moment, voulait utiliser à ses profits mesquins cette révolte, – les paysans servaient de bras armés aux politiciens chevronnés, aux grands dons ou grands propriétaires fonciers qui ne se montraient jamais satisfaits de la gestion des gouvernements en place, même quand ils en tiraient les principaux bénéfices. Ces soldats improvisés et en guenilles ne contrôlaient nullement ces différentes luttes auxquelles ils participaient. Chacune de ces fractions des classes exploiteuses voulait concentrer entre leurs mains le pouvoir économique et le pouvoir politique.

Ces assoiffés tendaient à l’hégémonie totale. Si nous nous contentons seulement des effets de la connaissance sensible découlée de cette approche événementielle, on serait porté à croire que les envahisseurs avaient raison quoique le système politique ne fût jamais profondément menacé. Pourtant, la raison immanente à l’occupation résidait dans l’application politique américaine.

En effet, depuis l’année 1823 où Monroe, le président des Etats-Unis d’alors, a énoncé la doctrine qui porte son nom, ce pays à la dimension continentale a décidé unilatéralement de dominer toute l’Amérique et toute la Caraïbe. Haïti a été le 24ième pays à souffrir du poids de ses bottes. Le grand « voisin du Nord » visait à chasser les Européens, notamment les Allemands, en vue du contrôle exclusif de notre territoire. L’impérialisme américain a compté avec le concours des classes dominantes et celui des intellectuels à leur solde pour occuper dans toute la plénitude du mot notre territoire pendant 19 années consécutives. Il arrivait de temps en temps que quelques individus de la bourgeoisie, des tenants de la grande propriété terrienne ou bien de la petite-bourgeoisie intellectuelle réagissaient souvent timidement quand leurs intérêts immédiats étaient affectés, cependant la résistance armée a été déclenchée dans le milieu paysan et par les paysans.

Le dévouement de quelques communistes tels que Jacques Roumain et de quelques
militants progressistes blessés par cette humiliation, n’avait pas produit tout l’effet escompté. Leur soutien, malheureusement, du fait de l’immaturité idéologique et
organisationnelle de leur courant et de leurs organes politiques, s’avérait insuffisant pour
sceller l’alliance avec la paysannerie en ébullition et hisser la lutte à son paroxysme. La
conscience de classe pour soi de la paysannerie n’était pas non plus assez développée
pour embrasser la lutte dans toute sa dimension politique et géographique. Cette réalité a pavé le terrain aux politiciens traditionnels pour utiliser cette grande force potentielle
comme de simples choses. Son héroïsme quelques fois naïf, en animant différents faits
d’armes étrangers à leur cause, n’a pas été pour autant semé dans le désert.

Dès le début du 20ème siècle, les paysans de la région du Nord étaient tout le temps en
état de guerre permanent. Le gouvernement de Nord Alexis les avait expulsés de leurs
terres qu’il concéda à la compagnie Mac Donald en vue de construire un réseau de
chemins de fer. D’après le contrat, cette compagnie pouvait disposer de 20 kilomètres de
terre de chaque côté de la route pour cultiver de la figue-banane, ceci pour une durée de
50 ans, y compris la franchise douanière.

Des politiciens magouilleurs de la trempe de Oreste Zamor, Davilmar Théodore, etc. ont profité de cette période de grande frustration pour utiliser machinalement les petits-paysans. Ils conduisaient ces derniers dans des batailles contre le pouvoir en place pour les abandonner piteusement après. Même si la classe paysanne n’était pas soudée par un sentiment anti- américain conscient, par ses luttes, elle exprimait déjà quelque chose qui se dessinait dans cette direction.

Le terrain n’était pas vierge pour Charlemagne Péralte qui, en 1919 à la tête de près de 5000 paysans, avait trouvé d’autres raisons pour stimuler toujours dans la région du grand Nord les paysans à se soulever contre les occupants. Ces derniers avaient remué de ses cendres la corvée qui était une loi haïtienne qui n’était plus appliquée depuis des années.

En 1929, les taxes que les chefs de l’occupation ont imposées sur les dérivés de la canne-à-sucre, les mesures pour limiter l’immigration massive des paysans vers Cuba qui
pensaient ainsi s’affranchir de leur misère qui s’était aggravée avec leur nouveau statut,
concernaient en premier lieu les paysans du grand Sud. Ces trois gros moments ont servi
de base pour lancer la lutte contre les nouveaux maîtres sans oublier le rêve séculier des
paysans de posséder leur terre.

« Il apparaît donc évident que les objectifs politiques et nationalistes ont été au second
plan dans les aspirations paysannes de 1915 à 1930 et que l’élément primordial a été la
continuation de la lutte amorcée tout de suite après l’indépendance pour la possession
d’un sol qu’ils avaient toujours cultivé de père en fils depuis l’époque coloniale et pour
l’amélioration de leur statut socio-économique. » 1

A la fin de l’année 1929, l’occupation avait perdu la face pour plus d’un, même au sein
des classes sociales qui lui avaient ouvert la porte. Des nationalistes conséquents et
d’autres plus conjoncturels et émotionnels comme Sténio Vincent qui, devenu chef
d’État de 1930 à 1941, s’était montré l’un des présidents les plus soumis aux Américains,
manifestaient leur indignation et leur ras-le-bol à travers tout le pays. Pourquoi, alors, est-ce la répression de Marchaterre que la mémoire populaire a retenue le plus?

La raison vient du fait que c’est là que les soldats américains ont mitraillé, tué d’un coup 22 paysans et blessé 51 autres. Ces derniers n’avaient que leur bouche comme seule
arme pour crier au cours de cette manifestation légitime : « À bas la misère. Retirez vos
scellés apposés sur les distilleries de 4 Chemins. Libérez trois des leaders emprisonnés. »

Nous devons nous rappeler que l’armée américaine était aidée dans ses œuvres macabres, de son nouveau bras armé haïtien qu’elle venait de former en 1916 sous la présidence de Sudre Dartiguenave. Ce récent corps militaire qui répondait tout d’abord au nom de « Gendarmerie », est devenue en 1928 sous Louis Borno, « Garde d’Haïti », en 1947 sous Estimé « Armée d’Haïti » et finalement sous Duvalier en 1958 « Forces Armées d’Haïti ». Il a reçu son baptême de feu dans la répression sanglante de ses frères et sœurs. C’est cette armée bouffonne que l’ex-président Aristide à son retour d’exil a dissoute en 1996 et non celle créée dans la fournaise de la lutte anti-coloniale par Dessalines comme veulent nous le faire accroire les membres de ladite actuelle classe politique. Les politiciens traditionnels tout au long de notre histoire avaient déjà entamé la destruction de l’armée indigène dont les occupants ont sonné le glas.

L’événement de Marchaterre est survenu à un moment où la lutte presque générale contre le gouvernement de Borno et celle contre l’occupation coïncidaient. La conjoncture du mois de décembre 1929 avait offert aux mécontents toutes les occasions pour intensifier la lutte contre le gouvernement de Louis Borno, avec un arrière-fond anti-occupation. Le 31 octobre de cette même année, les étudiants de Damiens revendiquaient au moyen d’une puissante grève contre le docteur Freeman, ce dirigeant américain de l’École Centrale d’Agriculture qui avait décidé de réduire le montant de la bourse qui leur avait été offert. Ils réclamaient le départ de Freeman et celui des prétendus spécialistes en tout et qui comme nous le vivons aujourd’hui dans tous nos ministères, ne sont spécialistes en rien mais qui gagnent des salaires mirobolants de dix mille dollars à vingt mille dollars us par mois, et pour certains beaucoup plus. Cette grève allait bien vite épouser une dimension politique avec l’appui d’autres secteurs qui lançaient des slogans tels que : « Vive la grève. À bas Freeman, À bas Borno, À Bas l’intervention ».

Les habitants des cinq départements qui configuraient le territoire national d’alors, mus
les uns et les autres, par des intérêts de classe immédiats, avaient revêtu leur costume
nationaliste. Le président Borno, malgré son impopularité, manigançait pour obtenir un
troisième mandat aux élections qui devaient avoir lieu en 1930. Les politiciens se sont
tous mis debout pour lui barrer la route. L’élite urbaine n’appréciait pas le mépris des
Blancs à son égard, car le gros de la troupe occupante venait du Sud raciste des États-Unis qui jusqu’à nos jours, n’a pas grandement changé de comportement. De surcroît, des politiciens, des commerçants, des professionnels se sentaient déçus du fait que leur
situation économique n’a pas beaucoup progressé et que les occupants ne sont pas
surtout parvenus à tenir en laisse les paysans « brigands ».

Au contraire, ces derniers sous la direction de Péralte, de Batraville, tissaient progressivement leur autonomie vis-à-vis des politiciens trompeurs. Entre-temps aussi, le camp progressiste avec Jacques Roumain, sillonnait le pays pour répandre l’idéologie socialiste.

Le 6 décembre de chaque année rappelle deux mauvais souvenirs aux progressistes
haïtiens qui placent leur amour du pays au-dessus des avantages des puissances étrangères. Le 6 décembre 1492, Christophe Colomb à la tête de trois bateaux de mercenaires a débarqué sur l’Île, envahi le territoire de ses premiers habitants pour les soumettre ensuite en esclavage. Dans l’intervalle de moins d’un demi siècle, plus d’un million de Taïnos et d’Incas ont été décimés par les Européens. C’était au temps des prémices du capitalisme que Marx a appelé « l’accumulation primitive du capital ».

Le 6 décembre 1929, avec le massacre de Marchaterre où le capitalisme avait atteint son stade impérialiste. Il est devenu impératif à tous les patriotes de rejoindre le camp populaire, non seulement dans l’objectif de bouter hors de nos murs les occupants de la
MINUSTAH, mais aussi pour que jamais le pays ne connaisse plus d’occupation.

Bibliographie : Kethly Millet : Les paysans haïtiens et l’occupation américaine
1915-1934 Collectif Paroles. 1978.
Suzy Castor : L’occupation américaine d’Haïti. Imprimerie Hanri Descahnps. 1987.

Marc-Arthur Fils-Aimé
Directeur ICKL
28 novembre 200

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