Haïti, du statut de République bananière à celui de Non-République

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L’assassinat de M. Moïse nous a enlevé toute possibilité de mener jusqu’au bout la bataille politique, légitime, que nous avions engagée avec lui, il y a 5 ans et avec, bien avant lui, son mentor, il y a 10 ans

par Marie Claude Dorce 

Vendredi 23 juillet 2021 ((rezonodwes.com))–

Vendredi seront chantées, dans le Nord les funérailles de M. Jovenel Moïse. Nous souhaitons beaucoup de courage à son épouse, Martine Moïse, ainsi qu’aux enfants du couple. Personnellement, depuis le drame, je n’arrête pas de penser aux enfants.

J’essaie même pas d’imaginer ce que leur fille, Jomarlie, qui était présente sur les lieux du crime a dû vivre ce soir là. Assister impuissamment à un tel acharnement, une telle violence sur le corps de son père ! La pauvre ! Comment vivre avec ça quand on est encore une jeune adolescente ? Le traumatisme qu’elle vient de subir la hantera encore longtemps. Espérons, en tout cas, qu’elle trouvera les meilleurs soins psychologiques que son cas mérite !

Nous, les « extrémistes », les « radicaux/radicales », les « fâché.e.s pas fachos », pour reprendre une expression qu’affectionne Jean-Luc Mélenchon, nous nous sommes battu.e.s pour voir leur père répondre de ses actes devant la justice. Nous les voulions, ses ami.e.s PHTKistes et lui au Pénitencier National, mais bien vivant.e.s. Son assassinat sauvage a été pour nous un véritable coup de massue. Et c’est pourquoi (quoique dans un sens tout à fait différent), nous nous réapproprions cette idée qui a beaucoup circulé au moment des premières réactions à ce triste événement, selon laquelle celui-ci est un fort coup porté à la démocratie en Haïti.

Oui, l’assassinat de M. Moïse est, au-delà de son aspect purement brutal et inhumain, un sacré coup contre la démocratie et, avons-nous envie d’ajouter, contre tous.tes les progressistes d’Haïti et de la sous-région. Il nous a enlevé toute possibilité de mener jusqu’au bout la bataille politique, légitime, que nous avions engagée avec lui, il y a 5 ans et avec, bien avant lui, son mentor, il y a 10 ans.

Une bataille pour la justice sociale ; contre la corruption, sa démagogique « caravane pour le changement » et son « Ti rès la pou pèp la » quand il avait déjà cédé une bonne part à ses oligarques de parrains ( fils adoptifs ou descendants directs de Dessalines ) ; sa complaisance et sa proximité avec les gangs qui sévissent dans les quartiers, sur les principales routes nationales et les rues de Port-au-Prince ; contre son indifférence affichée face aux nombreux cas d’assassinats que le pays a connus sous son règne ; contre son indifférence face au désastre économique et social qui pousse massivement les jeunes des milieux ruraux et populaires à quitter le pays dans les conditions que l’on sait, faisant de celui-ci, dans la sous-région, l’un des plus grands pays exportateurs de main-d’œuvre à bon marché, multitâches, et donc, surexploitée et « docilisée », fuyant comme la peste, les organisations syndicales, même les plus modérées, des pays « d’accueil »(lakay pa bon/ bouche nen bwè dlo santi, se sou mwen manman m konte, elatriye).

Tandis que le régime de M. Moïse n’a pas hésité à prolonger cette chaîne d’exploitation, initiée par son mentor, en se servant sur les transferts d’argent que font ces pauvres malheureux, malheureuses à leur famille et ami.e.s en difficulté resté.e s au pays.

Une bataille contre la misogynie et le sexisme d’État et décomplexés qu’incarnait son régime (souvenez-vous de la façon dont il se lâchait, Tchatcha en main, avec son épouse, en 2017, sur une chanson salement sexiste de son ancien mentor au carnaval des Cayes) et enfin, contre ses velléités dictatoriales et sa profonde allégeance à l’impérialisme américain, faisant, ainsi, passer Haïti, du statut déjà très problématique de République bananière à celui de Non-République (Petit clin d’œil au titre de l’essai de l’ancien président et leader de la Révolution citoyenne équatorienne, Rafael Correa).

Oui, notre bataille, nous le redisons haut et fort, n’a été, ni plus ni moins, qu’une bataille radicalement démocratique, qui n’a pas commencé avec la présidence de Jovenel Moïse, et qui, nous l’espérons, ne s’achèvera pas avec sa tragique disparition.

Marie Claude Dorce 

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