La banalisation de la corruption, un énorme danger pour la société!

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Par Francklyn B Geffrard

La corruption est le pire des fléaux qu’Haiti n’ait jamais connu. Même les catastrophes naturelles qui ont ravagé le pays, ne lui ont fait autant de mal que la corruption.

Dimanche 15 septembre 2019 ((rezonodwes.com))– La corruption et l’absence d’éthique en politique en Haïti demeurent des questions à la fois récurrentes et préoccupantes. La corruption est un phénomène social, politique et économique complexe qui menace dangereusement le fondement des institutions démocratiques. Elle traverse l’ensemble de la société haïtienne et prive la majorité des citoyens de la jouissance de leurs droits fondamentaux. 

Quand on parle de corruption en Haïti, on fait référence automatiquement à la fraude fiscale, à la contrebande, au détournement de fonds publics, à la passation de marché truquée, aux emplois fictifs, aux pots-de-vin, etc. Et ces intolérables pratiques font perdre au pays des centaines de millions de dollars qui auraient pu servir à son développement économique et social et à garantir sa stabilité. 

Cependant, la corruption s’est déjà taillée une si bonne place dans notre société que le terme « transparence » tend à disparaître du discours, voire du vocabulaire politique haïtien. Il en résulte que la corruption, véritable frein au progrès social et au développement économique, devient un fait banal qui s’implante durablement dans la réalité haïtienne. C’est en fait un système bien rodé mis en place par des réseaux mafieux ayant des tentacules partout dans la société afin de mieux commettre leurs forfaits. A part l’incompétence et l’incapacité des uns et des autres, la corruption est le pire des fléaux que le pays n’ait jamais connu. Même les catastrophes naturelles qui ont ravagé le pays, ne lui ont fait autant de mal que la corruption. 

La banalisation de la corruption est une arme puissante qu’utilisent les corrompus pour faire accepter aux citoyens non éduqués ou mal éduqués comme un fait normal les actes malhonnêtes. Ils disposent de gros moyens financiers pour corrompre davantage de gens notamment au niveau des médias dans le but précis d’influencer les esprits faibles au point de faire croire que la morale et l’éthique n’existent pas en politique. Au nom de cette thèse qui ne tient pas debout,  ils se croient autorisés de propager sans s’inquiéter, le virus de la corruption.

La banalisation de la corruption est un phénomène aussi dangereux, sinon pire que la corruption elle-même. L’impact de la banalisation de la corruption se fait sentir notamment dans l’inaction et l’incapacité de la société à réagir comme cela se doit contre les corrompus. Cette banalisation rend les citoyens dociles, indulgents, voire tolérants; trop tolérants envers les corrompus et les corrupteurs, pourtant responsables de leurs malheurs. Ce travail est tellement bien fait que parfois, les pauvres victimes se font complices des corrompus, pactisent avec eux jusqu’à prendre leur défense. 

La corruption est devenue tellement banale que les corrompus ne se cachent plus. Au contraire, ils se montrent plus arrogants et plus agressifs que quiconque. Ils s’affichent ouvertement sans complexe. Se croyant en terrain conquis, ils parlent fort, trop fort même, dirait-on. Ils sont sur les plateaux de télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux à longueur de journée pour attaquer d’honnêtes citoyens qui rendent service à la nation. Ils tissent de solides liens en hauts lieux de la société. Ils fréquentent les mêmes congrégations religieuses que leurs victimes. Ils y reçoivent la communion et la bénédiction du même chef religieux aussi bien que leurs victimes. Mais ils n’ont jamais pitié de leurs victimes aussi longtemps que celles-ci ne se révoltent pour renverser l’ordre des choses. 

En plus des institutions étatiques dont l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC)  l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) le Bureau des Affaires Financières (BAF) l’Inspection des Finances, chargées de prévenir et de réprimer la corruption, les parlementaires, représentants des citoyens, ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre la corruption. En leur qualité de représentants élus du peuple, de législateurs et de surveillants, ce sont eux qui élaborent le cadre juridique nécessaire à la répression de la corruption. Cela ne s’arrête pas là. Les parlementaires sont des agents de liaison entre les citoyens qu’ils représentent et le gouvernement dont ils surveillent et contrôlent l’action afin de s’assurer que les lois s’appliquent et que les politiques publiques soient mises en œuvre à la satisfaction des besoins des citoyens. Les parlementaires sont les principaux acteurs, pas les seuls, à encourager l’effort de transparence. Encore faut-il qu’ils soient eux-mêmes transparents et  s’abstiennent de participer à des actes de corruption. 

Cependant, il arrive souvent que les parlementaires soient eux-mêmes au cœur de scandales de corruption. Dans certains cas, ce sont des parlementaires qui reçoivent des pots-de-vin pour ratifier l’énoncé de politique générale d’un premier ministre ou pour voter une motion de censure contre un premier ministre. Dans d’autres cas, ce sont des parlementaires qui sont impliqués dans de grosses opérations de détournement de fonds. 

Le plus récent scandale de corruption impliquant des parlementaires, ce sont les dénonciations du sénateur Saurel Yacinthe concernant ses collègues qui auraient marchandé leurs votes au premier ministre nommé, Fritz William Michel, au prix fort de $100.000 us par sénateur. Cinq d’entre les supporters du régime en place auraient reçu cette somme. Un d’entre eux a d’abord confirmé avoir reçu l’argent pour ensuite se déjuger. Tous les autres ont démenti avoir empoché les pots-de-vin. Toutefois, tout en se défendant, l’un d’entre eux, le sénateur Kédelaire Augustin qui prétend être intègre, a admis qu’il y a toujours des distributions d’argent aux membres de la majorité, chaque fois qu’on doit ratifier un premier ministre. Autrement dit, c’est une classique. Et cette pratique est récurrente au parlement. Ces tentatives d’explications une fois faites, les parlementaires incriminés croient que cela suffit pour classer le dossier sans qu’aucune enquête ne soit diligentée et aucune poursuite judiciaire engagée contre eux. 

Récemment, c’est le questeur du Sénat, Onondieu Louis qui est indexé dans un rapport de la police judiciaire pour son implication présumée dans une grosse opération de détournement de 29 millions de gourdes. Pour minimiser et banaliser l’affaire, Mr. Louis, un ancien commissaire du gouvernement qui se présente comme un homme propre, immaculé, qualifie le rapport d’investigation de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) de « rapport politique. » Cette réthorique est désormais connue du grand public. Et c’est devenu un refrain. Chaque rapport d’enquête qui indexe un responsable d’Etat pour un crime quelconque (crime de sang ou financier) est qualifié de rapport politique et est bon pour être classé aux oubliettes. 

A côté du parlement, il y a certainement la presse, véritable contre-pouvoir qui est appelée à exposer les faits de corruption et les corrompus, notamment dans les cas où il ne s’agit pas de simples rumeurs et qu’il existe des rapports d’enquête. Cependant, globalement, la presse ne joue pas son rôle. Très peu de médias et très peu de journalistes se donnent la peine d’en parler en vue de faire avancer les dossiers. Dans certains cas, la presse est utilisée comme simple courroie de transmission du message des corrompus. Elle s’érige en tribunal pour blanchir ou innocenter qui elle veut en fonction de ses intérêts. Le rôle fondamental qu’elle joue, c’est surtout la banalisation de la corruption. Et c’est là que ça devient extrêmement dangereux. Aucun suivi n’est jamais fait en ce qui a trait aux dossiers de corruption. Tout est fait, au contraire, pour faire oublier ces questions d’importance comme si on pouvait s’habituer avec la corruption. On ne s’habitue pas avec la corruption. On doit tout simplement combattre la corruption. 

Il est évident que de nombreux secteurs du pays ne s’engagent pas véritablement dans la lutte contre la corruption. Le parlement, la justice, la presse, la société civile ( à part quelques rares organisations) ne jouent pas véritablement leurs rôles pour combattre la corruption. Jusqu’ici, tout a été fait pour banaliser la corruption et la faire passer dans l’opinion publique comme normale. Si rien n’est fait pour combattre la corruption dans tous ses aspects, et à force de la banaliser, elle finira par être considérée comme un critère de qualification pour occuper les  fonctions publiques les plus élevées du pays; d’autant qu’on assiste déjà à la banditisation de l’Etat et que cela fait partie, vraisemblablement, d’un projet de société d’un certain groupe politique rejeté et détesté par une bonne partie de la population. 

Francklyn B. Geffrard
15 Septembre 2019

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